samedi 30 avril 2011

Me Mohand Issad tire sa révérence : Le départ d’un juste

Pour l’opinion publique et même pour les décideurs, feu Mohand Issad est l’incarnation du parfait avocat pour qui son métier est un sacerdoce.


Qu’on soit d’accord ou pas avec lui, l’homme ne laisse personne indifférent.
Il force le respect par sa rectitude morale, sa probité intellectuelle et son engagement professionnel. Mohand Issad est une boule de nerfs. Tous les journalistes qui l’ont côtoyé ont dû sans doute «subir» ses accès d’adrénaline, mais ça finit toujours dans la bonne humeur tant l’homme est attachant. Il était tellement pointilleux y compris sur les subtilités de la langue de Molière, au point de reprocher aux confrères d’avoir déformé ses propos ou de s’être permis des extrapolations qui dépassaient sa pensée. L’avocat est comme cela, entier. Un jour qu’on l’avait pris en photo entouré d’une brochette de généraux à Club des Pins, juste après la crise de Kabylie, Issad eut une violente réaction : «Pourquoi m’avez-vous montré à la «une» de votre journal avec des généraux ? Qu’est-ce que les gens de mon village en Kabylie vont penser de moi, hein ? Moi je suis juste avocat, je ne fréquente pas les généraux et c’est eux qui sont venus vers moi… !» tempêta l’avocat, réellement affligé par ce cliché, qu’il pensait compromettant pour son image.

On a dû s’excuser moi et ma collègue photographe Louiza de Liberté pour éteindre le «volcan» Issad en pleine éruption.
Toujours à propos de la crise de Kabylie dont il a dirigé la fameuse enquête sur le printemps noir, le célèbre avocat a très mal vécu les critiques qui avaient accompagné son rapport, lui reprochant notamment de n’avoir pas situé les responsabilités. «Ce pays est incroyable ! Les gens ne savent pas lire apparemment. Quand je dis que le commandement de la gendarmerie a perdu le contrôle de ses troupes et que celui-ci a été parasité par des forces externes à son propre corps», cela veut dire quoi ? Dans l’intimité de son bureau, place des Martyrs, où il nous a reçu, Mohand Issad, a dit toute son amertume d’avoir été incompris, alors qu’il a jeté une grosse pierre dans le jardin des décideurs civils et militaires. Il cachait une peur bleue d’être taxé de «Kabyle de service».

Un redresseur des torts…à tort
Il en voulait d’autant plus qu’il aurait pu profiter allégrement de la mangeoire du régime à laquelle il était aimablement invité, comme le font de nombreux intellectuels indépendant de leur volonté. Au final, le grand avocat eut cette impression de s’être mis à dos et les gens de sa région (Kabylie) et les décideurs qui ont enterré son rapport qu’ils sûrent accablant». Ironie du sort, l’élève Yazid Zerhouni auquel Mohand Issad a donné ses premiers cours des sciences juridiques à la Fac d’Alger, eut raison de son maître…
A défaut de lui demander de revoir sa copie, le rapport Issad moura de sa belle mort dans les tiroirs de la République comme l’ont été les 124 jeunes assassinés par les gendarmes. Presque le même constat amer sur l’usage qu’on a fait (ou on n’a pas fait) de son rapport sur la réforme de la justice que Bouteflika lui confia.
« Le système de la justice est loin de suivre les recommandations du rapport (…) Je ne peux qu’être horrifié et peiné des condamnations prononcées à l’encontre des accusés, que la presse publie au quotidien. Je ne peux pas être fier de la justice de mon pays lorsque je vois ce grand nombre de mandats de dépôt et mandats d’arrêt internationaux». Mohand Issad, cet homme honnête, cet avocat intègre qui a refusé de servir d’escabeau du système, est parti mercredi avec ses blessures. Un homme juste avec lequel beaucoup ont été injustes. Mais pour la postérité, il aura été le maître incontesté et incontestable.

Hassan Moali
EL Watan.

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