samedi 30 avril 2011

Il y a 13 ans, le poète Nizar Kabbani est mort

A la mémoire de Nizar Kabbani, le plus grand poète arabe
C’était il y a exactement 13 ans, jour pour jour. Le poète de la femme, le poète de la révolution, le poète révolté, le Damascène -tel aimait-il se présenter- s’est éteint le 30 avril 1998, à Londres, des suites d’une maladie, après une longue vie (75 ans) houleuse où son talent indéniable, talent qui a fait de lui le plus grand poète d’expression arabe de notre époque, lui avait servi d’arme redoutable contre l’archaïsme, le machisme et la misogynie d’un coté et la tyrannie, la servitude et l’oppression de l’autre. Ainsi, Nizar, qui n’a laissé aucune personne indifférente à son égard, s’était battu sur tous les fronts. Et il a légué à la postérité près d’une cinquantaine de livres, entre recueils de poésie (sensuelle et politique) et prose (essais, théâtre).


Le poète de la Femme
Depuis ses deux premiers recueils de poèmes, « La brunette m’avait dit » paru en1944, et « Enfance d’un sein » paru en 1948, Nizar s’est trouvé une vocation. Celle d’un briseur de tabous, et ce, dans une société qui en cultivent à foison. Surnommé le poète de la femme, celle-ci l’a hanté jusque dans ses derniers écrits.
Indigné par la condition de la femme dans le monde arabe, condition qu’il a eu le malheur de voir et d’apercevoir dans sa vie familiale, Nizar Kabbani devient vite un anti-misogyne invétéré. L’élément déclencheur de cette haine du machisme et l’archaïsme chez Kabbani est le tragique suicide de sa sœur, suite  à un mariage forcé.
Dans ses poèmes, Nizar ne s’est point fixé de limites. Le corps de la femme y est décrit explicitement et sensuellement, avec souvent des métaphores au langage enfantin et surtout une focalisation patente sur  une partie du corps féminin : les « seins », tel qu’il a intitulé un recueil de poèmes : « Enfance d’un sein ». Cela lui a valu des ennuis, comme l'on s'y attend, avec les ulémas et les marabouts, ceux-là qui se veulent les monopolisateurs de la religion dans le monde arabe. Mais Nizar était adulé dans tout le monde arabe grâce, bel et bien, à ce langage qui est le sien.

L’éternel révolté
« Vous considérez-vous comme un révolté ? », demandait un journaliste à Nizar Kabbani. Celui-ci n’hésitait pas une seconde avant d’y répondre : « L’amour est dans le monde arabe prisonnier, et moi je veux le libérer ; je veux libérer le sentiment et le corps arabe par ma poésie… La relation entre l’homme et la femme arabes n’est pas saine dans le monde arabe ». Telle fusa la réponse de Nizar.
Toutefois, Nizar Kabbani était un révolté au delà de cette acception, celle du poète moderniste briseur de tabous dans une société archaïque. En effet, ses poèmes politiques témoignent d’une maturité et d’une vision du monde qui n’était celle des despotes arabes et de leurs marabouts et hommes liges. Sa poésie de thème politique a, elle, surgit, impondérable, des suites des défaites arabes conte l’Israël notamment. Parmi ses plus remarquables poèmes politiques, on retient « Quand est-ce que l’on annonce la mort des arabes ? ».
Parmi ses poèmes, aussi bien ceux politiques que ceux sensuels, plusieurs sont devenus des chansons célèbres interprétées par des artistes arabes de différentes nationalités, de Fayrouze (Libanaise) et jusqu’à Kadhem Essaher (Irakien), et passant par Abdel Halim Hafedh (Egyptien) et autres...

Nizar et l’Algérie
L’Algérie n’est pas restée étrangère à son œuvre. Sur ce pays il avait écrit, avant même de le visiter. Comment ne pas écrire ou ne pas visiter l’Algérie, pays de million de martyrs ? Surtout lorsque l’on est Nizar Kabbani ? Et Djamila Bouhired, symbole de la Bataille d’Alger, a, elle aussi, trouvé son chemin dans les poèmes magiques et angéliques de Nizar. Il a écrit, parmi plusieurs autres dédiés à la Guerre d’Algérie et durant cette Guerre, trois poèmes sur Djamila Bouhired dont « Une femme de Constantine ». Et cette ville, lors de sa visite, l’avait charmé. D’elle, il a dit : « comme si je voyais le ciel pour la première fois ».
Nizar visita l’Algérie en 1979. Une autre époque. Celle de l’Algérie « la Mecque des Révolutions ». Plusieurs villes dont Alger, Tizi-Ouzou et Constantine figuraient dans sa tournée. Il en a gardé des souvenirs merveilleux et émouvants. Il a dit : « En chaque lieu que j’ai visité dans les villes algérienne, j’ai trouvé la Révolution m’attendant ».

Le Damascène...
C’est ainsi que se définissait Nizar Kabbani : le Damascène.
Près de mourir, il informa ses proches de sa volonté d’être enterré dans cette ville, Damas. La ville qui l’a vu, 75 ans auparavant, naitre
Nizar a vécu plusieurs évènements cruciaux dans l’Histoire arabe. Il les a commentés avec une plume fine et audacieuse. Il a vécu la création d’Israël. La Guerre d’Algérie. Les indépendances. La fièvre du panarabisme. Son échec. La montée sauvage de l’intégrisme. Les défaites arabes dans les guerres contre l’entité sioniste… Mais les vicissitudes qui ont touché son âme le plus, furent personnelles. Outre la mort de sa sœur qui s’est suicidé… La mort de son fils suite à une maladie et, surtout, de sa seconde épouse lors d’un odieux attentat iranien en 1982, perpétré dans l’ambassade de l’Irak au Liban, l’ont marqué à jamais.
Sur la mort de sa femme, Nizar a blâmé tous les despotes arabes.
Nizar a tiré sa révérence le 30 avril 1998 à Londres.
Ainsi, il n’a pas vécu suffisamment pour assister au printemps arabe.
Aussi bien le courage de la jeunesse qui sort réclamer ses droits fondamentaux que la répression sanglante des tyrans criminels, auraient mérité un jet de la poésie de Nizar. Le Damascène n’a pas assisté aux évènements qui sont en train de se dérouler en Syrie. A l’apogée qu’atteint le crime d’Etat en ce moment avec les massacres de Bachar, digne d'être le fils de son père. Plus de 500 morts en quelques jours !
Aussi, Nizar n’a pas vécu assez pour assister et commenter avec sa poésie séraphique à l’audace de la jeunesse arabe et syrienne qui est en train de s’affranchir de la tyrannie.
Nizar Kabbani est mort avant la libération.
Il est inhumé à Damas. 
Qu'il repose en paix.

Par Lyes Akram
30 avril 2011, Blida.

1 commentaire :

  1. " [...]auraient mérité un jet de la poésie de Nizar"...
    Oui. Il aurait pu dire le colère et l'espoir des jeunes et des vieux, des femmes qu'il a tant chanté et des hommes qui luttent.
    Mais sais-tu, lorsqu'une etoile s'eteint, une nouvelle, plus brillante s'allume. Un autre poète est peut-être né quelque part...Tendons l'oreille.

    Lamine Badaoui

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