jeudi 18 août 2011

Tunisie : faut-il blinder la nouvelle Constitution ?


Par Ibtissem Garram

La révolution tunisienne a mis fin à quelques dictatures en Afrique du Nord et a ouvert la voie à la démocratie dans le monde arabe. Cependant, elle a également créé un motif de préoccupation. Dans tous les pays concernés, il y a des mouvements islamistes qui, s’ils accédaient au pouvoir par les urnes, pourraient être tentés d’abolir la démocratie et d’attenter aux libertés fondamentales pour frayer un passage à l’application littérale de la charia. La promotion et la chute de la démocratie dans la bande de Gaza est à cet égard un cas d’école.
Une fois au pouvoir, les islamistes essaieront de gagner du terrain sur les plans social et politique en se servant du processus démocratique lui-même. Ainsi, les acquis de la Tunisie, notamment ceux de la femme, seraient sérieusement menacés. Or la Tunisie est une exception dans le monde arabe s’agissant des libertés et des droits de la femme. Le président Habib Bourguiba a en effet fait proscrire la polygamie et la répudiation, et a légalisé le divorce. Et toutes les jeunes filles, sans exception, ont eu accès à la scolarisation.
Afin de protéger ces acquis et beaucoup d’autres, la tâche principale de la future Assemblée constituante sera d’institutionnaliser la démocratie en Tunisie de sorte qu’elle ne puisse pas être compromise par une instrumentalisation du processus démocratique. La solution se trouve dans une sorte de « démocratie militante » telle que définie par l’Allemand Karl Loewenstein.
La Turquie, qui a une importante population musulmane, dont un groupe radical de taille, serait une source d’inspiration précieuse. Mustapha Kemal Atatürk a introduit une « démocratie militante » fondée sur la séparation de la religion et de l’État. Les éléments du kémalisme ont déjà trouvé leur chemin officieux vers la Tunisie, qui constitue, dans la conjoncture actuelle, un terrain fertile pour l’instauration d’un tel modèle. Les régimes de Bourguiba et de Ben Ali étaient déjà laïcs sans pour autant le stipuler explicitement dans la Constitution. Il est temps maintenant de cesser d’appliquer la politique de l’autruche et d’ouvrir grande la porte à une ère démocratique nouvelle où la liberté, l’égalité et le respect des droits de l’homme seraient garantis.
En Turquie, la laïcité a été le fruit des réformes d’Atatürk, au début du XXe siècle. Le 3 mars 1924, il a aboli officiellement le califat et a ancré la laïcité dans l’article 2 de la Constitution : «La République de Turquie est un État de droit démocratique, laïc et social, respectueux des droits de l’homme dans un esprit de paix sociale, de solidarité nationale et de justice, attaché au nationalisme d’Atatürk et s’appuyant sur les principes fondamentaux exprimés dans le préambule.»
Selon le philosophe français Henri Peña-Ruiz, « la laïcité est une valeur essentielle, avec ce souci de la liberté de conscience et de l’égalité de tous les hommes, qu’ils soient croyants, athées ou agnostiques. L’idéal laïc n’est pas un idéal négatif de ressentiment contre la religion. C’est le plus grand contresens que l’on puisse faire sur la laïcité que d’y voir une sorte d’hostilité de principe à la religion. Mais c’est un idéal positif d’affirmation de la liberté de conscience, de l’égalité des croyants et des athées, et de l’idée que la loi républicaine doit viser le bien commun et non pas l’intérêt particulier. C’est ce qu’on appelle le principe de neutralité de la sphère publique ».

Par Ibtissem Garram,
Avocate, professeure de français et spécialiste de l’Afrique du Nord auprès de l’Institut néerlandais des droits de l’homme. In Jeune Afrique.


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