samedi 20 août 2011

De la République kaki à celle de la Soummam


Par Boubakeur Hamidechi
hamidechiboubakeur@yahoo.fr

C’est à travers les anciennes péripéties du mouvement national qu’il faut parfois songer à déterminer la nature réelle des régimes qui se sont succédé depuis 1962. Au cours de ce demi-siècle de souveraineté, cinq chefs d’Etat ont contribué aux remodelages successifs des institutions de ce pays et, de fait, sont à l’origine de l’héritage du présent. Ben Bella (1962- 1965), Boumediene (1965-1978), Bendjedid (1978-1991), Zeroual (1996-1998) et Bouteflika (1999 à ce jour) sont indiscutablement comptables devant l’histoire de ce qui est, communément, appelé «l’inaptitude de l’Algérie» à se réformer.
Illustrant à la perfection le fameux «changement dans la continuité», l’ensemble de ces présidents incarne bien le poids décisifs de l’armée et la fonction grandissante de celle-ci dans la désignation des impétrants. De Ben Bella, premier cheval de Troie de l’armée des frontières, et jusqu’à Bouteflika, alors appelé à sa rescousse dès septembre 1998, au moment où la hiérarchie commençait à se diviser sur de nombreux sujets, aucun des cinq présidents n’a pu se soustraire aux désidératas de la caserne à laquelle ils doivent tout. La primauté du militaire sur le civil est non seulement une réalité encore perceptible dans les modalités de fonctionnement des autres institutions, mais de plus elle est admise comme le référentiel normatif de la bonne marche de l’Etat. Certes, les différentes séquences de l’histoire récente ont-elles fini par atténuer sa pesante visibilité néanmoins sa prépondérance dans les décisions demeure intacte. A l’image d’un général Touati, pour ne pas le nommer, qui fut désigné parmi la troïka pilotant les consultations récentes, elle est par conséquent toujours partie prenante du projet de la refondation de l’Etat. Certes moins marraine que par le passé, l’armée garde quand même une certaine prérogative de censeur sur les dossiers sensibles. Et c’est à ce niveau de son retrait de la vie politique qu’elle prétend avoir opéré sa mue et s’être reconcentrée sur ses missions constitutionnelles. Bouteflika n’en avait-il pas justement disserté sur le sujet auprès des interlocuteurs américains comme l’avait rapporté Wikealeaks ? «L’armée algérienne a changé, leur avait-il dit. Elle n’est plus ce qu’elle était avant 2004». Avant 2004 ? C’était donc le chef de l’Etat qui a placé le curseur sur cette époque et qui, sans prendre garde, souligne qu’il doit sa promotion initiale à celle-ci. Ainsi, d’un système franchement militaire dont le maître d’œuvre fut Boumediène, l’Algérie n’est parvenue de nos jours qu’à une étrange hybridation des modalités. De nos jours, alors que le contexte régional est caractérisé par la contestation des régimes, comment à son tour l’Algérie peut-elle s’inscrire dans cette dynamique historique sans rompre radicalement avec la «spécificité » d’une primauté qui vient de loin ? «L’indépendance confisquée » qu’énonça Ferhat Abbas résume bien le hold-up des origines dont souffrent à ce jour les élites. Et voilà pourquoi le credo d’Abane Ramdane redevient actuel avec cette date du 20 Août. C’est à ce Saint-Just de la guerre de libération que l’on doit justement cette exigence de la «primauté du civil sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur» mais qui lui a coûté la vie de la main de ses compagnons de lutte. Architecte de la plate-forme de la Soummam (1956) il avait, dès cette date, pris la mesure des déviations futures. Son assassinat, quelque temps après la promulgation de la première convention de la Révolution algérienne, signait dans le même temps la mise en place du système du complot en vue du pouvoir. En 1962 c’était, par conséquent, dans le fracas des armes que le destin de l’Algérie se décida. 55 ans après la Soummam le regret de l’inachevé dans l’édification d’un Etat de droit et le sentiment d’amertume d’un pays floué lors de ses rendez-vous avec l’histoire se sont conjugués pour désarmer moralement la société. Dans moins de deux années, les forces armées algériennes (ANP 1963-2013) qui célébreront le cinquantenaire de leur existence sauront-elles passer la main aux citoyens électeurs afin qu’ils décident seuls de l’avenir ? Autrement dit, à partir de cet âge canonique, peut-on espérer que cette institution fasse son examen de conscience et solde son vieux tutorat sur le champ politique ? L’instauration effective de la prééminence du pouvoir civil (celui des urnes) sur l’ensemble constitutif de l’Etat conditionne dorénavant la renaissance du républicanisme. La première République (RADP) que les militaires ont d’ailleurs portée sur les fonts baptismaux et même instruite de leurs conseils et injonctions ne fonctionne désormais que pour les intérêts de clans et ignore le pays réel. Elle est un non-sens suicidaire pour l’Etat algérien tant qu’elle est maintenue sous perfusion. Dans l’urgence, le pays a besoin d’accoucher d’une seconde république dont le modèle existe dans notre histoire. Celui imaginé par Abane Ramdane et que l’on a enfoui en même temps que sa sépulture. Après un demi-siècle d’une république enfantée par l’armée des frontières, les Algériens ne sont-ils pas désormais majeurs pour traduire dcitoyens ans la réalité l’utopie d’une république de la «Soummam» en hommage à celui qui l’avait rêvée en rédigeant ce fameux préambule qui tient en une phase et cela au mépris des risques qu’il payera de sa vie. Le crime politique par excellence qui se répétera, par la suite, tant et tant de fois.
B. H.

In Le Soir d'Algérie

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