mardi 13 novembre 2012

Présidents et argent : sur une dérive occidentale de la démocratie

Par Lyes Akram
Aujourd’hui, on connaît assez les chefs d’Etat dans le Tiers-Monde et plus particulièrement dans le Monde arabe. Dans cette partie du monde, ce sont des rois, émirs et autres présidents à vie avec succession programmée post-mortem, omnipotents bien que grabataires, régnant par le fer et le feu sur des populations domestiquées par de redoutables polices politiques, ces célèbres moukhabarète. Ce sont surtout des potentats au train de vie de satrapes, dilapidant l’argent du contribuable ou le plus souvent des rentes fabuleuses qui sont, au demeurant, épuisables car issues de l’exploitation de richesses tout sauf perpétuelles. Il semble, malheureusement, que cette dernière caractéristique (l'enrichissement) attise l’appétit des présidents et hauts dirigeants soi-disant démocratiques, en Occident. Dans la courante édition du Monde Diplomatique, l’article de la dernière page, signé Ibrahim Warde, aborde précisément cette question : le rapport des chefs d’Etats en Occident à l’argent, à travers le cas de l’ancien premier ministre britannique Anthony Blair. D’emblée, Ibrahim Warde rappelle ce propos de Nicolas Sarkozy en 2008 alors qu’il n’envisageait pas briguer un second mandat, cité par Le Point : « Président, on a été six à faire l’job. Regardez les seconds mandats, hein ? Pas formidables ! Alors, moi, en 2012, j’aurai 57 ans, je me représente pas. Et quand j’vois les milliards que gagne Clinton [il avance le visage, cligne des yeux à répétition], moi, j’m’en mets plein les poches ! [il frappe de ses mains les deux poches de son veston]. Je fais ça pendant cinq ans et, ensuite, je pars faire du fric, comme Clinton. 150 000 euros la conférence ! » Ibrahim Warde affirme que William Clinton était endetté à hauteur de 11 millions de dollars à la fin de ses mandats en janvier 2001 et, devenu « écrivain et conférencier », une année plus tard, l’homme et sa femme sont déjà millionnaires !
Et après avoir « fait ça pendant cinq ans », M. Sarkozy a commencé, lui aussi, sa carrière de conférencier de prestige le 11 octobre dernier, à New York. D’après L’Express, on compte déjà 70 propositions à l’ancien chef d’Etat français pour ce genre de conférences. Ainsi donc, « L’accès aux plus hautes fonctions publiques ne constituerait-il plus qu’une étape dans un plan de carrière dont l’enrichissement personnel marquerait l’aboutissement ? », s’interroge Ibrahim Warde.
En effet, il s’agit là de véritable dérive de la démocratie, du moins dans sa version occidentale considérée par certains comme exemplaire.
Quant à Anthony Blair – sujet de l’article de Ibrahim Warde – il écrit à propos de ces nouvelles activités : « travailler hors des contraintes du gouvernement était enrichissant, stimulant et [lui] permettait potentiellement d’avoir une influence plus grande que lorsqu’[il était] en politique ». Et pour cause.
Le jour même où Anthony Blair présentais sa démission du gouvernement britannique, il est nommé représentant du Quartet (USA, UE, Russie, ONU) au Proche-Orient en vu d’accompagner le « processus de paix israélo-palestinien ». Pour Ibrahim Warde, dire du bilan de M. Blair qu’il est « modeste » relèverait de l’euphémisme ! Ainsi, l’auteur conclut que l’ancien premier ministre se sert de cette fonction pour « avoir accès à n’importe quel dirigeant, y compris (et surtout) les potentats du Golfe ». De surcroit, rappelle Warde, le carnet d’adresse d’Anthony Blair n’est pas vide, lui qui a été premier ministre britannique !
Ibrahim Warde cite une intervention, rapportée par Le Monde, d’Anthony Blair dont la marque « se fonde sur le mélange des genres, la forme la plus achevée d’un capitalisme d’accès qui se monnaye au prix fort ».
« M. Blair est intervenu pour faciliter l’offre publique d’achat (OPA) du géant des matières premières Glencore sur la société minière Xstrata, dont le fonds souverain Qatar Holding est le deuxième actionnaire, écrit Ibrahim Warde. (…) M. Blair téléphona alors à son ami Hamad Ben Jassim Al-Thani, premier  ministre de l’émirat gazier et patron de Qatar Holding. ‘‘À l’issue de cette conversation, rendez-vous est pris à Londres entre les deux parties.’’ L’OPA devrait aboutir à la fin du mois de novembre. Montant des honoraires de M. Blair ? ‘‘Plus d’un million de livres [1,24 million d’euros] pour trois heures de travail.’’ »
Ibrahim Warde, qui rappelle, entre autres, que l’ex-premier ministre britannique était devenu conseiller financier de la famille Kadhafi et avait, à ce titre, fait plusieurs séjours à Tripoli, écrit encore : « Plus récemment, [M. Blair] est entré en affaires avec M. Noursoultan Nazarbaïev, qui dirige d’une main de fer le Kazakhstan, où il a été réélu en 2011 avec un score supérieur à 95% des voix. C’est pour la bonne cause !, jure M. Blair, qui perçois 8 millions de livres pour un an pour ‘‘former l’administration’’ et ‘‘réformer le gouvernement’’».
Où va la démocratie occidentale avec une telle perversion des objectifs et finalités ?
« L’idéal démocratique ne souffre-t-il pas quelque peu lorsque le service public ne constitue plus une fin en soi, mais une simple étape d’un plan de carrière fondé sur la perspective d’un enrichissement différé ? », s’interroge Ibrahim Warde. Qui termine son article par ces termes : « Comme l’a expliqué le ‘‘superlobbyiste’’ déchu Jack Abramoff, le meilleur moyen pour une entreprise de corrompre un homme politique est de lui faire miroiter la perspective d’un emploi futur qui lui garantirait le pactole ».

L. A.

Les citations attribuées à Ibrahim Warde sont tirées de son article « Blair Inc., La reconversion lucrative des anciens chefs d’Etat », publié dans Le Monde Diplomatique, novembre 2012, édition papier.

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