lundi 12 mars 2012

Nasr-eddine Lezzar : Sonatrach supporte le fisc des partenaires étrangers

 
Membre de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale et expert à long terme auprès de l’Union européenne, maître Nasr-Eddine Lezzar revient, dans cet entretien, sur les aspects juridiques du conflit opposant la compagnie nationale des hydrocarbures à la firme américaine Anadarko et au groupe danois Maersk. Me Lezzar, appelé par nos soins, est allé au-delà de la polémique  suscitée par le recours de Sonatrach à un règlement à l’amiable de son conflit avec ses partenaires. Il décèle des vices de fond dans les relations contractuelles et fiscales liant Sonatrach à ses partenaires, dont certaines de ces carences sont à l’origine de son différend avec Anadarko et Maersk.

-Sonatrach vient de régler à l’amiable son différend avec Anadarko et Maersk, qui portait sur la taxe sur les superprofits. Sonatrach devrait verser à la firme américaine l’équivalent de 4,4 milliards de dollars d’hydrocarbures et au groupe danois 920 millions de dollars. Pensez-vous que la décision de l’Algérie d’imposer la taxe sur les superprofits souffrait de bases juridiques puisque Anadarko et Maersk estiment que de telles décisions n’étaient pas prévues dans leurs contrats respectifs avec Sonatrach ?
-Le droit de l’Algérie d’imposer de nouvelles taxes est un droit souverain qui n’est soumis ni à l’appréciation ni à l’accord des opérateurs étrangers. Sonatrach qui, depuis 2005, n’est plus une représentante de l’autorité publique mais une entreprise opérant dans le domaine pétrolier, n’a pas à supporter les conséquences et les dommages causés aux entreprises partenaires du fait de décisions souveraines de l’Etat. Nous assistons ici à un mauvais usage de la clause de hardship applicable dans les contrats, dont l’exécution s’étale sur un espace temporel de plusieurs années ou sur une période d’une durée indéterminée. Cette clause, insérée dans une convention, permet à l’une comme à l’autre des parties signataires d’exiger que s’ouvre une nouvelle négociation lorsque la survenance d’un évènement de nature économique ou technologique bouleverse gravement l’équilibre des prestations prévues au contrat. Il s’agit, en quelque sorte, de la transposition dans les contrats commerciaux de la notion d’imprévision qui se trouve appliquée depuis des décennies aux contrats de droit public. La clause de hardship a été invoquée par les multinationales pétrolières suite aux nationalisations des hydrocarbures par les pays producteurs, qui se fondaient sur le droit des peuples à disposer de leurs ressources naturelles. Il y a de grands contentieux qui appartiennent maintenant à l’histoire. En fait, il aurait fallu et suffi que les deux parties entament une nouvelle négociation suite à ces nouvelles taxes et non recourir à l’arbitrage. En outre, il n’y a pas lieu que Sonatrach dédommage qui que ce soit, ceci d’une part. D’autre part, cette nouvelle fiscalité s’applique aux deux entreprises de façon indistincte, on ne voit vraiment pas pourquoi il y aurait un déséquilibre des prestations qui nécessiterait un réaménagement du contrat d’association.

-Comment interprétez-vous cette décision de Sonatrach de régler son différend à l’amiable, au lieu d’attendre l’arbitrage international ? Pourtant, Sonatrach est habituée à gagner à l’arbitrage…
-La décision est paradoxale et le paradoxe est troublant. Il faut préciser que le fond du litige, quant à lui porte, sur la question d’une application rétroactive d’une taxe sur les profits exceptionnels, instaurée par loi de 2006. Anadarko estime que cette loi ne lui serait pas appliquée en raison du fait que son contrat d’association avec Sonatrach (1989) est antérieur à la loi qui l’a instauré.
La logique eut été acceptable si le litige portait sur une disposition contractuelle avec Sonatrach, mais nous sommes face à une disposition fiscale, donc par nature rétroactive. Il est aussi paradoxal qu’une loi sur les hydrocarbures contienne des dispositions relatives à la fiscalité, même pétrolière. Les impôts de toute nature (immobilière, douanière, pétrolière) sont du ressort exclusif de la loi de finances. En outre, il suffit de revoir la loi de finances 2011 pour observer ses dispositions sur la fiscalité pétrolière. Il semble qu’on ait trouvé le moyen de permettre aux partenaires étrangers de compenser les pertes fiscales par des aménagements des parts de production.
Cette déduction peut être faite de la déclaration de Sonatrach selon laquelle «les parties sont convenues de modifier certaines dispositions du contrat, notamment le mécanisme de partage de production, qui comprend l’engagement des partenaires de Sonatrach de payer la TPE conformément à la réglementation en vigueur». Le stratagème serait le suivant : ce qui devait être donné au fisc par les partenaires étrangers va être supporté par Sonatrach, et ce, par un autre aménagement des parts de production.
Nous ne sommes pas loin d’une irrégularité, pour ne pas dire fraude fiscale. Revenons à votre question : un recours à l’arbitrage dans une matière non arbitrable.
D’abord, il n’est pas compréhensible que Sonatrach ait accepté d’aller à l’arbitrage dans cette affaire, ou plutôt dans cette question liée à la fiscalité, parce que nous sommes devant un différend fiscal, donc par nature non arbitrable, touchant à un domaine de souveraineté de l’Etat, donc à l’ordre public, et ce, conformément à notre code de procédure civile.
L’origine du litige est entre Anadarko et le fisc algérien et Sonatrach a pris le parti des opérateurs étrangers contre les intérêts du fisc. Une solution à l’amiable inopportune. Car je ne comprends pas non plus qu’on puisse aller à un accord à l’amiable pour deux raisons. Primo, la concession est troublante car Anadarko n’avait pratiquement aucune chance de gagner le procès en arbitrage. Sonatrach joue avec les intérêts du fisc et du Trésor public algérien. Secundo, Sonatrach n’est pas habilitée à conclure ce genre d’accord ni à prendre en charge les conséquences liées à de nouveaux impôts. Sonatrach n’est ni un agent ni une autorité fiscale habilitée à procéder à des négociations fiscales.

-Pensez-vous que la précédente manière de manager Sonatrach et le secteur en général, caractérisée par une espèce de concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne, est à l’origine de telles erreurs juridiques qui coûtent aujourd’hui très cher au pays ?
-Je ne peux pas porter une évaluation sur la gestion générale de Sonatrach, mais je crois savoir que, comme toutes les entreprises algériennes, elle souffre d’une sous-gestion ou d’une mauvaise gouvernance au plan juridique. Cette situation est particulièrement déplorable car les enjeux sont colossaux et Sonatrach est une compagnie qui a d’énormes ressources.
Il est aussi constaté que tout le contentieux international de Sonatrach est confié à des cabinets étrangers, ce qui est terriblement inquiétant vu le caractère stratégique du secteur. Il me semble que si, depuis l’indépendance, Sonatrcah avait fait confiance à des cabinets algériens, nous aurions actuellement des cabinets suffisamment formés et outillés pour prendre en charge les procès et contentieux les plus complexes.
Nous remarquons aussi que Sonatrach, dans tous ses contrats, les grands comme les petits, prévoit la clause d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale alors que la Chambre algérienne de commerce et d’industrie dispose de son centre d’arbitrage qui est choisi comme organe de règlement par des entreprises étrangères. Le centre de conciliation et d’arbitrage de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie n’entend pas suppléer à la cour d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, mais il pourrait bien être choisi pour des litiges de volume moyen et ainsi être complémentaire à celle-ci.  

Ali Titouche
In El Watan, 12 mars2012


Fin du différend avec Anadarko et Maersk
L’Algérie paye cher la gestion opaque de Sonatrach

La compagnie nationale des hydrocarbures, Sonatrach, a fini par trouver un accord avec ses deux partenaires Anadarko et Maersk, mettant fin par un règlement à l’amiable au litige qui les oppose depuis 2007. L’entente entre les parties en conflit prévoit des compensations de l’ordre de 4,4 milliards de dollars pour Anadarko et 920 millions de dollars pour Maersk lesquelles bénéficieront également d’une prorogation de 25 ans de la durée d’exploitation de leurs gisements. Le compromis reçoit l’assentiment de tous, même si les premières annonces ne permettent pas d’appréhender avec clairvoyance les bénéfices tirés par chacune des parties.  Certes, il permet aux partenaires de tourner la page des désaccords avant d’avancer vers de nouveaux projets et enjeux beaucoup plus importants, notamment celui du développement du bassin de Berkine, nouvelle province pétrolière.
Or, les lourdes concessions consenties par Sonatrach laissent dubitatif quant à la capacité dont disposait Sonatrach à s’en sortir à l’issue de l’arbitrage dans ce cas précis. C’est d’ailleurs l’avis des experts interrogés à ce propos. Francis Perrin, expert en marchés pétroliers et directeur de la rédaction de la revue Pétrole et Gaz arabes, indique d’ailleurs qu’il était clair et très attendu que l’arbitrage international allait être en faveur de l’américain et du danois. Le fait est que «les partenaires de Sonatrach avaient bâti un dossier bétonné sur le plan juridique et qu’il s’appuyait sur les dispositions particulières dont ils bénéficiaient dans le cadre de leurs contrats respectifs». Chose qui leur a permis, contrairement au reste des firmes installées en Algérie, de porter le débat en public et de faire preuve d’une attitude agressive envers les Algériens.
M. Perrin explique qu’Anadarko et Maersk se sont basées sur la clause assurant la stabilité fiscale régissant leurs contrats. Clause qui, selon les deux firmes, n’a pas été respectée lors du prélèvement par Sonatrach de la taxe sur les profits exceptionnels instaurée en 2006 sur la part de production leur revenant. L’expert précise aussi que le litige opposant les compagnies pétrolières comprend plusieurs éléments, notamment le volet relatif aux divergences concernant les modalités d’application de la nouvelle taxe sur les superprofits laquelle a touché au final à l’ensemble de la production dès le moment où le cours du baril dépassait 30 dollars, alors que les partenaires de Sonatrach estimaient qu’elle ne devait toucher que les profits exceptionnels.
«La mise en œuvre de la TPE et des diverses dispositions de la loi sur les hydrocarbures amendée s’est alors avérée extrêmement compliquée», selon les propos de l’ex-conseiller en stratégie auprès de Sonatrach, Mourad Preure. Celui-ci ne remet pas en cause pour autant le droit d’un Etat à recourir souverainement à l’écrémage des profits exceptionnels, dans la mesure où de nombreux pays, comme la Grande-Bretagne en 2010, recourent à la modification de leur fiscalité. Or, l’erreur réside, selon lui, dans le fait d’avoir «appliqué de manière rétroactive la nouvelle réglementation aux contrats de partage de production signés antérieurement, alors que les compagnies avaient déjà établi leurs prévisions d’investissement».

Dans le sillage de la révision de la loi sur les hydrocarbures
Il s’agissait donc pour Sonatrach, selon l’ex-PDG du pétrolier public, Abdelmadjid Attar, «de limiter les dégâts au vu des résultats de l’arbitrage», dans la mesure où celui-ci «est mal parti dès le début du fait d’un mauvais choix en ce qui concerne le cabinet de conseil juridique et la stratégie de défense de Sonatrach». L’objectif de cet accord à l’amiable, lequel contraste avec l’entêtement ayant marqué le début du conflit, visait aussi, selon l’ancien responsable, de «préserver le partenariat avec Anadarko qui est le principal opérateur pétrolier en association avec Sonatrach et l’un des tous premiers à s’engager en Algérie après la loi de 1986, et enfin améliorer l’image et l’attractivité du pays pour le futur».Il est vrai que l’affaire a quelque peu égratigné l’attractivité du domaine Algérie, selon Francis Perrin qui affirme que même si la majeure partie des firmes pétrolières travaillant en Algérie n’avaient pas porté le débat en public, «cela n’a pas manqué de les faire jaser entre les murs et dissuader d’éventuels investisseurs».
L’affaire Anadarko-Maersk reflète parfaitement la gestion hasardeuse du secteur durant la dernière décennie et les cafouillages ayant émaillé les amendements apportés à la loi sur les hydrocarbures en 2005 et en 2006 ainsi que leur mise en œuvre. Pour M. Perrin, les amendements de 2006, qui ont marqué un durcissement de la législation, sont intervenus à un moment où la hausse constante des prix du pétrole a donné des ailes à l’ensemble des pays producteurs, lesquels ont entrepris, à l’image de l’Algérie, de modifier leurs législations.
Et d’ajouter que les producteurs «ne se souciaient plus de produire plus, mais de s’attribuer une plus grande part de la rente». Il estime également que ces pays, qui se sentaient en position de force, ont péché par excès d’enthousiasme et sont allés «un peu trop loin et trop vite» en besogne, en voulant appliquer les nouvelles dispositions «à des contrats négociés longuement et âprement». Et comme le marché pétrolier n’est pas à l’abri d’un retournement, lequel n’a pas tardé à se faire sentir à la fin de l’année 2008, ce qui peut être applicable aujourd’hui risque de ne plus l’être demain. Et d’ajouter que le contexte actuel marqué par la montée en puissance des hydrocarbures non conventionnels met les pays producteurs au défi de développer l’amont pétrolier. Il pense d’ailleurs que c’est la principale motivation de la révision prochaine de la loi sur les hydrocarbures en Algérie laquelle devra développer les bassins inexplorés, les hydrocarbures de schiste, ainsi que l’offshore.

En mal de vision stratégique
Les propos de l’expert dénotent quelque peu un manque de vision stratégique chez les responsables algériens du pétrole. A ce propos, Abdelmadjid Attar estime qu’il faut prendre en considération le fait qu’une «loi dans ce domaine (l’énergie, ndlr) peut être bonne aujourd’hui, elle ne le sera peut-être pas dans moins de cinq ans» et qu’il faut réagir vite en conséquence. L’ex-PDG de Sonatrach regrette d’ailleurs le fait que «toutes les politiques mises en œuvre ont eu en théorie un objectif de renforcement de la souveraineté sur les ressources et leur accroissement depuis 1971. Mais dans la réalité, il y a soit un manque de réactivité et un retard par rapport aux grandes mutations dans le monde, soit une mise en œuvre non seulement très lente, mais de façon trop conservatrice, sans vision stratégique lointaine, et parfois même par crainte de l’avenir».
Et à propos de stratégie justement, les experts nationaux interrogés ont voulu rebondir sur la cession des actifs d’Anadarko détenus par Sonatrach en 2003 et lesquels auraient pu constituer un atout. Mourad Preure a regretté dans ce sens l’agressivité d’Anadarko qui, dit-il, a pu «bénéficier des investissements en Algérie pour accéder à une stature internationale», avant de rappeler que la participation de Sonatrach à son capital constituait «un rempart aux OPA que l’américain a subies durant les années 1990». L’ex-patron de Sonatrach a, de son côté, estimé que la compagnie nationale «a beaucoup perdu à travers cette cession», précisant ne pas comprendre les motivations d’une telle décision. Il faut rappeler à ce titre que Sonatrach détenait 5% du capital d’Anadarko et 2% du capital de Duke Energy. La firme publique a obtenu ces titres à la suite d’un arbitrage international concernant le contrat gazier El Paso durant les années 1970. Ces actifs ont été cédés en 2003, du temps où Chakib Khelil assurait la double fonction de ministre de l’Energie et de patron de la compagnie nationale des hydrocarbures. Les derniers développements ressemblent à s’y méprendre à un retour de manivelle… ironique !

Melissa Roumadi
ElWatan, 12 mars 2012 



L’arnaque Sonatrach-Anadarko : 
Comment les algériens se font «plumer»


(KalimaDZ) Sonatrach a confirmé, ce samedi 10 mars, être parvenue à un accord à l’amiable avec le groupe américain Anadarko. La société nationale des hydrocarbures a également annoncé un accord similaire, de moindre importance, avec le groupe danois Maersk. Le litige avec ces deux compagnies portait sur le montant de la taxe sur les superprofits pétroliers. Une fois approuvé, l’accord «aura pour effet de mettre un terme définitif aux arbitrages qui ont été introduits par ces deux compagnies aux fins de contester le prélèvement de la taxe sur les profits exceptionnels (TPE)», a précisé Sonatrach dans un communiqué.
Derrière ce langage incompréhensible, se cache une débâcle qui va couter très cher aux algériens. La compagnie nationale des hydrocarbures Sonatrach est obligée de fournir l’équivalent de 4,4 milliards de dollars de pétrole au cours des 12 prochains mois à la firme américaine Anadarko.
De quoi s’agit-il ? En 2004, Chakib Khellil, patron de Sonatrach et tout puissant ministre de l’énergie, «oublie» de rajouter dans un contrat signé avec l’américain Andarko la taxe sur les superprofits. La question mérite d’être posée, puisque cette omission ne concerne que cette entreprise. Ce petit «oubli» va couter aux algériens très cher.
Les américains, comme à leur habitude,  ne laissent pas passer une pareille «aubaine» pour «plumer» le pauvre peuple algérien et menacent de recourir aux instances d’arbitrage international où ils peuvent théoriquement obtenir beaucoup plus.
Outre les 4,4 milliards de dollars de pétrole, ils obtiennent également, selon cet accord, un volume plus élevé de pétrole estimé à 2,6 milliards de dollars environ, pour la durée du contrat. Et pire pour les algériens, l’accord prévoit aussi de proroger à 25 ans la durée d’exploitation de chaque gisement, les compagnies exerçant par anticipation les options contractuelles prévues à cet effet.
Assuré d’en sortir victorieux, Anadarko affirme dans un communiqué, que le «règlement» conclu avec la compagnie pétrolière Sonatrach devrait obtenir «l’approbation» des autorités algériennes dans les quatre prochains mois.
Si les américains peuvent dire merci à Chakib Khellil, les algériens sont en droit de lui demander des comptes. Par ses décisions, il a privé le peuple algérien de ses ressources en en faisant cadeau à la première puissance économique du monde.
Dans n’import quel autre pays, un ministre comme Chakib Khellil, aurait été présenté devant la justice pour s’expliquer.
En Algérie, les amis du Président Bouteflika ne risquent rien, du moins…du moins, pas pour l’instant, sinon pourquoi se permettrait-il de narguer ostensiblement les algériens.
S’il n’y a personne pour faire cesser cette impunité, il n’y a aucune raison que cela s’arrête.

Yahia Bounouar

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