samedi 15 octobre 2011

Algérie : Changer ou disparaitre ?

57 ans après le 01 Novembre 1954
Algérie : Changer ou disparaitre ?


Par Lyes Akram

Poignant, le devenir des Algériens dépend essentiellement d’eux. Un demi-siècle après son « indépendance », l’Algérie risque une destinée on peut plus pénible. Se voulant la continuité des Etats qui, par le passé, ont peu ou prou rayonné au Maghreb central avant de disparaître tragiquement, l’Algérie pourrait connaitre la même fin, à son tour, si le peuple consent que continue la situation actuelle, caractérisée par une gabegie monstre, une corruption débridée et des péculats effrénés, œuvre hideuse d’un régime illégitime, criminel, antipopulaire et incompétent.

L’Algérie à la croisée des chemins 
En 1962, dans une atmosphère dominée par des fratricides et la trahison de la révolution, l’Algérie accède à l’indépendance après 132 ans de « mission civilisatrice française » qui n’avait que trop meurtri le peuple et ruiné le pays. Dix ans plus tard, en 1972, quelques mois avant sa mort, le célèbre penseur algérien Malek Bennabi prévient ses amis dans une causerie – véritable testament de cet immense intellectuel – par des termes d’une clarté frappante : « Nous devons, nous autres musulmans, introduire des changements au sein de nos sociétés, sous peine de subir d’autres changements que l’époque nous imposera de l’extérieur »(1). Prémonitoire, cet avertissement de celui qui fut la conscience du monde musulman, est le vécu d’aujourd’hui.
À peine quatre décennies plus tard, Bennabi est enseveli et le monde arabe et musulman est en ébullition, de fait des changements annoncés. Certains pays, comme la Tunisie, sont en train d’« introduire des changements dans nos sociétés », tandis que d’autres, comme la Libye, à cause de l’opiniâtreté criminelle et la folie meurtrière d’el Guedhaffi et de ses sbires et mercenaires, sont en train de « subir d’autres changements que l’époque nous imposera de l’extérieur ». En définitive, Malek Bennabi a eu raison.
Maintenant que nous sommes en train de vivre sa « prophétie », on ne peut que se demander quel sera le sort de l’Algérie, est-ce un changement par les Algériens, tel que le souhaitent ardemment les patriotes Algériens et nos amis, ou, l’ultime calamité qui nous frapperait, un changement par l’extérieur qui signerait indubitablement la fin de la Nation algérienne ?
Au jour d’aujourd’hui, il est indéniable que la conscience des Algériens est en hausse et qu’une louable politisation des jeunes est en marche en dépit des manœuvres grossières d’un régime aux abois, acculé par les conséquences de sa gestion chaotique du pays. Tout comme il est clair que le régime, se sachant inamendable, s’obstine dans ses pratiques malsaines, refuse l’ouverture et ne répare pas ses erreurs gravissimes. Dans ces circonstances, ne pas réagir devient un acte criminel. Un choix s’impose aux Algériens.

La voie de la disparition
La nation, une construction politique avec des répercutions sociales, n’a rien d’impérissable. A l’image de tout ce qui possède un début, les nations dépérissent et disparaissent. Toujours est-il que c’est l’Etat, un ensemble d’institutions, qui garantit que perdure une nation. D’autant plus que celui-là est fort d’institutions légitimes et puissantes, inspirant respect, régissant formellement la vie des citoyens qui le reconnaissent et lui doivent obéissance, celle-ci, peu à peu, se consolide. La « volonté collective » d’y appartenir augmente, et le lien tribal est substitué par un autre,  national, ce qui est synonyme de sa rigidité et de la stabilité et la pérennité des institutions de l’Etat qui auraient permis qu’adviennent ces changements.
C’est-à-dire, tout ce que n’est pas l’Algérie de nos jours.
Actuellement, l’Etat algérien, qui n’est plus défaillant mais déliquescent, est en train de devenir ingouvernable. Le régime, dont l’illégitimité est en dessus de tout soupçon et les crimes reconnus y compris par le TPP(2)  (Tribunal Permanent des Peuple), se montre incompétent à un degré suicidaire.
Les émeutes de janvier 2011 ont réaffirmé ce que nous savions déjà : l’Etat algérien n’a pas d’existence aux yeux du peuple. Traumatisé suite à une guerre civile, ce dernier boude tout ce qui est lié au régime. La preuve la plus manifeste est le boycott de toutes les élections passées. Le peuple ne s’exprime que par l’émeute et uniquement lorsque la détérioration des conditions de vie atteint le summum, cependant que les riches-corrompus, serviles du régime, exposent des fortunes colossales indues. Aux émeutes à répétition du peuple, la réaction du régime est toujours la même : le bâton d’abord, puis la carotte ! Une répression meurtrière, suivie, une fois que la ténacité des populations à arracher quelques miettes est affirmée, par un achat honteux de la paix sociale…
Malheureusement, cet « achat » est garantit par la manne pétrolière, devenue notre malédiction tant elle arrange les tenants du pouvoir et permet à celui-ci d’engourdir le peuple, ne serait-ce que provisoirement. Nos ressources « épuisables » assurent en effet jusqu’à 98% de nos revenus, et, outre qu’elles sont épuisables, elles n’assurent pas une vie décente aux Algériens – corruption, rapines… –, ne permettent pas une stabilité durable, compte tenu des changements des prix, souvent imprédictibles. D’ailleurs, on commence à évoquer l’éventualité d’un effondrement du prix du baril à cause « des risques de récession qui pèsent toujours sur l’économie mondiale », lit-on dans les colonnes d’El Watan de jeudi dernier. Pour le régime, cela signerait forcément la fin de la possibilité d’acheter le silence du peuple.
Et après ? Un scénario, le plus apocalyptique de tous, n’est pas à exclure. Pour l’intellectuel algérien Omar Aktouf, « tout cela finira, et sans doute dans un avenir plus proche qu’on le croit, dans un bain de sang. Avec, fort certainement, au final, soit un scénario à la libyenne, où on verra les forces de l’ONU venir ‘‘protéger’’ nos citoyens et adouber pour nous nos futures élites, soit un scénario à la Yémen-Bahreïn où on verra des forces venir lutter contre des ‘‘branches d’Al-Qaïda’’ manipulant le peuple pour le compte de djihadistes prêts à remplacer nos généraux »(3).
Et Omar Aktouf n’est pas le seul à tirer les sonnettes d’alarme…
Ghazi Hidouci, l’ancien ministre de l’économie dans le gouvernement réformateur de Mouloud Hamrouche, considère que l’Algérie est « même en danger d’intervention extérieure lourde ». Pour lui, deux scénarii sont envisageables. « Dans le premier, affirme-t-il, l’État algérien continue de gérer la situation de la manière que nous observons aujourd’hui : un gouvernement sans légitimité, équivoque dans ses rapports avec l’OTAN et sous pression directe de ses partenaires occidentaux. (…) ce gouvernement ne pourra pas éviter de devenir le supplétif de la stratégie occidentale au Maghreb. Dans une telle situation alimentée par la corruption généralisée – celle des centres de décisions à tous les niveaux et des services de sécurité – et l’arbitraire permanent, l’hypothèse d’un soulèvement récupéré, infiltré et orchestré ne peut être écartée » Et, pour l’ancien ministre, le second scénario, « ‘‘idyllique’’, consisterait en la mobilisation du peuple contre ces dangers »(4).
L’Algérie vit une phase cruciale qui aboutira certainement à un changement radical. Avec deux possibilités. Ou bien un changement qui pourrait signer la fin de la tyrannie et l’instauration de la démocratie. Ou bien un changement qui signerait la fin de l’Algérie. Et les hommes de Novembre 1954 ne sont plus capables de se prononcer sur le devenir, car ou morts ou épuisés.

Changer ou disparaitre…
« Aujourd’hui, l’Algérie est en crise. Les héros ont disparu, sont fatigués ou ont rejoint la cohorte des prédateurs », écrit l’éminent historien Mohammed Harbi(5). Sans opter pour un déchirement générationnel, il n’est que trop clair que le destin de l’Algérie repose entre les mains des nouvelles générations. Ceux d’avant 1962, qui après avoir servi cette patrie, qui après l’avoir détruite et meurtri son peuple, ne sont plus capables d’agir.
Majoritairement jeune, le peuple algérien doit avoir un gouvernement qui le reflète et reflète sa pluralité. Malencontreusement, le régime est devenu une gérontocratie irrationnelle. Qu’attend-on d’un régime où le premier responsable est un malade moribond de 74 ans ?
En effet, s’il y avait eu une volonté de changement à l’intérieur du régime, la voie est claire – sans être pourtant aisée. Mais « il est inconséquent de demander des réformes à un système pourri. Dans notre cas, le changement doit signifier le départ du système», affirme Mohamed Hennad, politique algérien.
Dans un pays où tout est à reconstruire, où l’échec est total, où les institutions politiques ne jouissent d’aucune crédibilité, où, du système éducatif à l’économie nationale, une volonté de détruire était, et est toujours, l’unique arrière-pensée des décideurs, seule une Deuxième République est en mesure de sauvegarder l’unité des Algériens dont les liens qui les unissent sont en cours de désintégration, le régionalisme existant déjà en 1962 ayant évolué en tribalisme macabre. Et il n’est pas de nation sans conscience par le peuple de son unité. L’esprit tribal, la cause des féodalités les plus abjectes et destructrices, n’est assurément pas une caractéristique de la solidité des nations. C’est tout le contraire : le lien national est affaibli à mesure que le lien tribal est renforcé. Du coup, l’atomisation du peuple, l’une des funestes réalisations du régime algérien, ne signifie pas moins que de mettre la nation algérienne en péril.
Un soulèvement populaire des Algériens pour dire : « assez ! » à l’autodestruction, et « dégagez ! » aux décideurs, ces causes de nos maux profonds, demeure le moyen le plus sûr pour arriver à changer ce régime. La conjoncture internationale, contrairement à 1988,  est favorable à une démocratisation effective de l’Algérie. Après tous ses ravages, le régime doit partir. Le chemin pour y remédier avant qu’il ne soit trop tard, est assez commun, dont le début est une Assemblée constituante, tout comme en 1962, avec cette fois une différence de taille : elle doit effectuer son devoir, celui de préparer une Constitution à la future Deuxième République. Et il n’y a aucune date meilleure à celle du 1 Novembre pour se révolter en terre d’Algérie.

« Ni Etat Intégriste, Ni Etat Policier »
Après un demi-siècle de gestion policière de l’Algérie, l’échec de l’Etat policier est patent. Nul n’a besoin d’étaler des preuves autres que notre situation, déplorable, que nous avons examiné. Pour ma part, je crois que rien n’est plus évident que la nécessité de la construction d’un Etat de droit, avec pour le moins un certain sécularisme désacralisant ses institutions, faisant ainsi qu’elles soient critiquables par les citoyens, afin d’entreprendre l’étape de l’édification sociale et politique de l’Algérie, édification dont l’adhésion populaire est une condition sine qua non de la réussite.
Cette formule n’a jamais été plus vraie qu’elle ne l’est aujourd’hui : idée-force du FFS et des démocrates au début des années 1990, si le peuple avait soutenu ce choix sans équivoque, « Ni Etat Intégriste, Ni Etat Policier », nous ne serions pas là, aujourd’hui, menacés de disparition et d’extinction.
Que peut offrir l’intégrisme, en effet, sinon des somnifères idéels, drogues et stupéfiants idéologiques ? Le Soudan et l’Arabie Saoudite sont là pour le dire. Quant à l’Iran, il affirme qu’il n’y a point de secte exceptionnelle. Tous les intégrismes ne mènent qu’à la stagnation, voire l’arriération. « Le Coran contient tout », ou « l’Islam est la solution » sont les plus grands leurres qu’auront produit nos intégristes.
Texte allégorique, sujet de diverses interprétations, le Coran, tout comme les bibles, est un livre religieux, et, pour les musulmans, le Livre. Rien dans les 114 sourates le constituant ne prescrit à ses adeptes la voie à suivre à l’échelle des nations…
Quant à l’histoire musulmane, elle montre que seule la tolérance est en mesure de garantir la paix entre les musulmans eux-mêmes, ainsi qu’entre les musulmans, les juifs et les chrétiens, les athées et les agnostiques, chacun d’eux étant appelé à apporter son plus à la construction nationale à venir.
Mais avant cette construction, le départ du régime actuel est déjà un pas salutaire…

L’histoire, le sang amazigh qui coule dans les veines des Algériens, ainsi que leur raison et patriotisme, leur seront-ils utiles pour agir et sauver une nation peu consolidée avant le naufrage final ?
L’histoire, impitoyable, ne sait reculer.
Un deuxième « 1 Novembre » devient une nécessité, bien que, fort heureusement, une révolution, dans les conjonctures actuelles, ne sera que pacifique et pacifiste.
Une partie de notre échec est pour ainsi dire imputable à l’apathie du peuple qui avait cru en des faux espoirs et en des compromis qui n’étaient que mirages. Subséquemment, il lui incombe de réaliser les changements nécessaires à la survie de l’Algérie, en commençant par changer le régime, forme et fond.
L’Algérie a grand besoin de ses filles et fils. C’est aux Algériens de décider : changer ou disparaitre ? Car c’est « l’esprit du temps. Il faut garder présent à l’esprit que si nous n’opérons pas ces changements de notre propre chef, ils nous seront imposés »(6) de l’extérieur, avait prévenu Malek Bennabi, il y a quarante ans.

L. A.

Notes de renvoi
(1)- Malek Bennabi, La réalité et le devenir, Alem el Afkar, 2009 (un recueil de conférences publié à titre posthume). Cet ouvrage est traduit de l’arabe par Nour-Eddine Khendoudi.
(2)- Les violations des Droits de l’Homme en Algérie, documents élaborés par le TPP. Lien : http://www.algerie-tpp.org/
(3)- OMAR AKTOUF. Professeur HEC de Montréal, à El Watan Weekend : « En Algérie, tout cela finira dans un bain de sang ».
(4)- Ghazi Hidouci, en toute vérité, Algeria-Watch.
(5)- Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN, Documents et histoire, 1954-1962, Fayard, 2004 (Paris), Casbah, 2004 (Alger).
(6)- Malek Bennabi, Ibid.

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