vendredi 22 avril 2011

Le sort d'un opposant démocrate : Vie et assassinat de Ali Mécili, partie 2

II- L’arrestation et la prison
« Le ‘‘Che’’ a peut-être eu de la chance, celle d’avoir participé à la destruction d’un fascisme de droite [régime de Batista], sans devoir assister à la perversion d’une révolution en fascisme de gauche [Cuba de Castro]. » 
Ali Mécili.
Par Lyes Akram
Hiver 1964. Une répression particulièrement féroce s’abat sur la Kabylie, base populaire du FFS, dont les unités armées (ou ce qui en restent, après le ralliement du colonel Mohand Oulhadj à l’ANP compte tenu du conflit avec le Maroc : la « guerre des sables ») se tiennent malgré une faiblesse relative. Ben Bella, obnubilé par un pouvoir auquel il est arrivé dans sur les chars de l’armée des frontières, use de la tactique, si dangereuse sur l’unité nationale, léguée par la France qui en avait fait une devise : « diviser pour régner ». Tous les officiers de l’ANP que Ben Bella utilise dans sa répression des maquais du FFS en Kabylie, sont en fait, des Chaouis (habitants des Aurès). Cela a pour objectif aussi de s’affermer et s’affermir vis-à-vis du colonel Mohamed Boukharouba.
La torture atteint des sommets inégalés. Les Kabyles de la SM s’inquiètent. On en parle au colonel Boukharouba. Celui-ci, cynique et lui-même grand tortionnaire connu comme tel au milieu des moudjahidine, a eu au moins le mérite d’être franc. Sur la question de la torture, il répond net : « Alors, comment vous-voulez avoir des informations ? ». Sans commentaire…
En ces temps difficiles, du fait que la répression étatique soit concentrée en Kabylie, des officiers de l’ANP basés au Constantinois, et qui ont pourtant soutenu d’emblée Ben Bella et Boukharouba, comprennent le danger de ce régime destructeur. Ils planifient un putsch. A leur tête, un officier supérieur de haute stature, le plus jeune de tous et figure de proue au grand Sud algérien, région qu’il dirigea durant la Guerre : colonel Mohamed Chaabani. Soutenu principalement par un officier adulé par la population local, Moussa Hassani (ce nom ne vous dit rien ?), et deux civils, non des moindres, Ahmed Taleb El Ibrahimi, fils adoptif de Cheikh Bachir El Ibrahimi, et, surtout, figure de taille, un historique hautement apprécié, Mohamed Boudiaf. Ils créent le CNDR (Comité National pour la Défense de la Révolution). Mais ce qu’ils ne savent pas, ne soupçonnent même pas, c’est que la SM est au courant de tous les préparatifs. La police politique recrute ça et là, en Algérie et -comme nous allons le voir par la suite- même à l’étranger.
Le seul organisme qui fonctionne réellement en Algérie est la SM, hier, et le DRS aujourd’hui.
Colonel Boukharouba, dont la réputation est celle d’un grand sanguinaire, se sent menacé par le colonel Chaabani, qui, plus jeune, a par surcroit une bonne réputation, étant officier de l’intérieur durant la Guerre, et s’attaquant sans cesse et à visage découvert aux DAF. La prudence oblige Boukharouba à le guetter.
Ali Mécili informe Hocine Aït Ahmed de tout ce qui se trame. Celui-ci est rapidement contacté par les officiers du Constantinois, pour donner ainsi à leur putsch un caractère national, au risque que l’opinion le prend à une tentative de sécession. Après concertation avec ses proches, notamment Mécili, Aït Ahmed informe les émissaire du CNDR que la Centrale (SM) est au courant et qu’il faut qu’ils agissent vite. Cette proposition est, pour Mécili, qui connait les services de l’intérieur, une occasion nonpareille. « Cette affaire ne dot pas rater, c’est une aubaine, dit-il(…). Constantine doit tomber d’urgence. Ce choc psychologique libérera des forces populaires auxquels nous devrions permettre de s’organiser dans des structures démocratiques »…
La suite est une… suite de malheur.
Des brigades entières, dépêchés d’Alger, pénètrent dans le Constantinois et le « complot » est étouffé ainsi dans l’état embryonnaire. Boudiaf parvient à quitter l’Algérie vers la Tunisie ; et, trois décades plus tard, il sera assassiné par le régime, alors que les sbires seront devenus maitres, dans la continuité même de l’affaire qui nous préoccupe, celle de l’assassinat de Mécili. Le commandant Hassani (nous allons retrouver ce nom dans la suite) se réfugie dans les montagnes du nord-Constantinois, négocie sa reddition et quitte la vie politique dès lors. Taleb El Ibrahimi, lui, goute la prison de Ben Bella puis devient ministre de 1965 jusqu’en 1988 et considère le règne du colonel Boukarouba comme « positif ». Parmi les arrêtés, un certain Mellah. Comble de la barbarie inhumaine. Il est brulé au chalumeau et perd ses capacités mentales. Le sort le plus pathétique est celui du plus importants de ces officiers, colonel Chaabani. Arrêté, il est condamné à mort suite à un simulacre de procès dans lequel sont impliqués Ben Bella, Boukharouba et Chadli, ainsi que d’autres sanguinaires. C’est un assassinat camouflé. Colonel Chaabani osait, en effet, dès 1962, critiquer l’intégration des DAF (Déserteurs de l’Armée Française) dans l’ANP et c’est cela lui a couté sa vie…
L’affaire Chaabani mérite un récit à part entière…

La SM est une structure très organisé. Mécili ne le sait pas, mais ses supérieurs le soupçonnent d’avoir des relations avec des opposants. Ses opposants. Ali a tissé, outre les liens -et quels liens !- déjà évoqués avec le FFS, des relations avec le milieu estudiantin algérois. Il conseille les étudiants de développer des syndicats autonomes et les aide à se structurer sur le terrain.
Si le FFS est le mouvement de résistance qui a duré le plus, c’est bien grâce à Mécili et à son rôle centrale. D’un coté, très informé des activités de la SM et de l’ANP, il passe les informations aux responsables du FFS qui agissent selon. Et, de l’autre, ce qui est beaucoup plus important, pour couvrir les déplacements de Hocine Aït Ahmed, Ali fait parvenir à la Centrale des fausses informations, donnant le leader du FFS dans une localité, alors qu’il se déplace vers une autre. Cette stratégie n’est utilisée que rarement, sinon les réseaux de Mécili perdent leur crédibilité et sa vie même sera en danger. Mais, très utile, faut-il l’avouer.
Pour ne pas s’attirer trop d’attention, Mécili, admirateur de la révolution Cubaine, décide de prendre alors part dans un voyage officiel vers Cuba. « C’est la réalisation d’un rêve pour moi », écrit-il à ses amis italiens, Marco et Puci. Il rencontre Fidel Castro et Che Guevara et aime deviser avec ces deux figures, notamment le « Che ». Sa désillusion ne tardera pas, suite aux dérives castristes que l’on sait…
De retour en Algérie, Ali Mécili et Hocine Aït Ahmed vivent les derniers mois en hommes libres. Leur arrestation n’est pas si évidente. Comme tous les évènements en Algérie, il y a la version officielle : mensongère ; et, la version officieuse : véridique.
La première affirme que l’ANP, agissant sur des informations précises, parvient à localiser le leader du FFS (et son ami).
La seconde est, elle, tout autre.
Derrière l’arrestation, un malheureux hasard. Rien de plus.
Hocine Aït Ahmed relate : « ‘‘Le malheur a voulu’’, selon l’expression courante, que notre entrevue (avec Mécili) à Aït-Zellal ait lieu chez Mokrane, qui venait de déserter de l’ANP avec armes et bagages. Alors que nous discutions tranquillement, autour d’un couscous, une unité motorisée s’est déployée vers la maison du déserteur. Le brave Mokrane nous en a avertis tout aussi tranquillement quelques minutes à peine avant l’arrivée des soldats. Il avait décidé, tout seul, dans sa tête, dès l’apparition du bataillon gouvernemental sur l’autre rive du Sébaoue, que nous ne courions aucun danger. Il s’était en effet aménagé pendant la guerre de libération une cache à l’épreuve des fouilles et des perquisitions de l’armée coloniale. Il s’y réfugiait en toute sécurité, le cas échéant, lorsqu’il descendait du maquais pour rendre visite à sa famille. (…) Bref, moins d’une heure après l’irruption des militaires dans la maison de Mokrane, notre abri était découvert au milieu des jurons des soldats, des pleurs d’enfants et des cris forcenés des femmes appelant la malédiction divine sur les ‘‘nouveaux colonialistes’’(…). ‘‘Il est là, mon lieutenant’’, criait un troufion en arabe en parlant du déserteur. ‘‘Sors vite, les mains en l’air, sinon je te lance une grenade’’, s’égosillait un de ses camarades qui faisait mine de joindre le geste à la parole en introduisant dans la cache le canon de son fusil armé d’une ‘‘patate’’. Pendant que Mokrane et Ali s’extirper de celle-ci par des mouvements forcément maladroits et acrobatiques, je m’empresser de bruler tous les documents compromettants pour ce dernier. Certain d’entre eux l’auraient conduit sans délai devant le peloton d’exécution. Les militaires, eux, jouaient hystériquement du bazooka pour m’obliger à sortir et surtout à ravaler ma flamme de pyromane… qui s’éteindra seulement faute d’oxygène, les allumettes refusant l’une après l’autre de s’allumer. Une fois hors du refuge et emmené dans le petit patio de la maison kabyle avec mes deux compagnons, le lieutenant Redouane interrogea Mokrane sans paraitre s’intéresser aux autres prisonniers. Il ne savait vraiment pas qui nous étions. Il n’avait pas déclenché une opération sur un renseignement précis me concernant, comme le prétend la thèse officielle. C’est moi-même qui déclinerai mon identité. Pourquoi ? Je m’étais aperçu qu’un militaire essayait de déchiffrer une inscription en arabe gravée sur la kalachnikov que m’avait offerte le général Kacem, ex-président de la République irakienne, avec, sur la crosse, une généreuse dédicace à mon nom. Ayant des difficultés de lecture et pressentant une découverte importante, le soldat appela à la rescousse. Je pris alors les devants et demandai à voir l’officier seul à seul tout en faisant signe à Mécili de nous suivre dans une petite salle. Je lui demandai s’il ne me reconnaissait pas. ‘‘Non’’, me répondit-il à bout de nerfs car il s’attendait de toute évidence à des révélations, et non à des questions. Lorsque je me présentai, il n’en crut d’abord pas ses yeux. J’avais maigri : vivre plus d’une année au maquais, souvent à marche forcée, et toujours sous tension, changeait de la sédentarité ‘‘relaxe’’ des prisons française et transformait votre allure. Les signalements les plus récents me prêtaient de plus une barbe, rasée l’avant-veille et dont il ne me restait qu’un brin de moustache. Le regard du lieutenant s’embua soudain : non seulement il se rendait à l’évidence de sa capture, mais loin de s’en réjouir, il s’emblait plutôt la regretter, dans un premier réflexe lié à l’histoire, aux souvenirs d’une lutte commune et à la nostalgie d’une certaine fraternité. Il esquissa un geste d’amitié puis l’interrompit avec un sourire. Je me lançai alors dans un discours expliquant les raisons de nos divisions, les enjeux politiques de notre combat et lui conseillai de nous rejoindre avec son unité, non sans lui rappeler que des officiers prestigieux du Constantinois et du Sahara, comme Mohammed Chaabani et Moussa Hassani, avaient donné à l’armée une directive permanente : les rejoindre au maquais. ‘‘Je ne commande pas le bataillon mais seulement une compagnie. Tout ce que je peux faire pour vous est de vous laisser le choix de votre destination : voulez-vous être conduit au PC de Tizi-Ouzou, ou bien à l’état-major du secteur (de la région militaire) de Boufarik ?’’ Telle fut sa réponse à la question que j’avais faite, certes, avec énergie, mais sans trop d’illusions. Ma préférence se porta sur le PC de Boufarik pour deux raisons : d’une part, j’en connaissais le chef, le commandant Saïd Abid, dont l’intégrité, la compétence et le patriotisme étaient notoires en Algérie. C’était un des rares anciens maquisards nantis d’un bon niveau intellectuel et politique, et de ce fait ouvert et sans complexe. Ben Bella avait fait appel à lui parce qu’il était originaire des Aurès et qu’opposer montagnards chaouis et montagnards kabyles perpétue une très vieille recette de pouvoir. De surcroit, la promotion de Saïd Abid à la tête de ce secteur englobant la Kabylie, tout comme la désignation du colonel Zbiri, un autre Chaoui, à la tête de l’état-major général de l’ANP, visaient à empêcher un contrôle total de l’armée par Boumediene. J’espérais d’autre part que Saïd Abid ne remettait pas Ali aux responsables de la SM et qu’il s’arrangerait pour que nous soyons incarcérés dans les mêmes locaux, voire jugés ensembles. A l’inverse le PC de Tizi-Ouzou étant opérationnel, mon ami risquait d’être remis aux tortionnaires qui lui feraient payer cher sa ‘‘félonie’’. Le chef de poste à Tizi-Ouzou, le capitaine Abbas Ghezayel -aujourd’hui général commandant en chef de la gendarmerie-, originaire également des Aurès, n’avait pas la réputation d’être un tendre : on le disait surtout soucieux de sa carrière. Quelle raison aurait-il de protéger un homme des services contre les services ? ».
Ali Mécili, lui, ne révèle son identité qu’une fois arrivé chez Saïd Abid. Celui-ci, il faut le dire, les reçoit avec considération. Mais les hauts gradés de la SM ne sont pas tout à fait sous son autorité. « Je veux être fusillé avec lui », s’écrie Mécili lorsque les responsables de la SM les séparent (Ali d’avec son ami Aït Ahmed).
Saïd Abid rend visite à Hocine Aït Ahmed trois jours après l’arrivée des prisonniers à Blida. Et c’est la dernière fois que Saïd Abid rencontre Aït Ahmed car il sera assassiné par des anciens sous-officiers de l’armée française (sur ordre du colonel Boukharouba ?) en décembre 1967.
Une semaine plus tard, Aït Ahmed aperçoit Ali, emmené par la SM qui veut négocier avec le FFS. En effet, la capture de Hocine Aït Ahmed n’est pas une merveille compte tenu de la lutte des clans. Pour Ben Bella, Aït Ahmed vivant c’est un « cadeau empoisonné ». L’exécuter ensuite, après la capture, vu l’ampleur et la sauvagerie de la répression en Kabylie, est hors question, étant lui-même Kabyle. La SM qui, depuis sa création en 1962, cherche à renverser Ben Bella et attend seulement le prétexte, n’hésitera pas à le destituer pour préserver « l’unité de la Nation ».
Les responsables de la Centrale laissent les « prisonniers » se rencontrer en leur proposant de « négocier ». Le leurre que constitue la « négociation » n’échappe pas au patron du FFS. Au responsable de la SM, il déclare : « Je vous livre le fond de ma pensée : je ne crois pas une négociation possible à l’heure actuelle. Les leaders et leurs clans au pouvoir ont besoin du ‘‘danger kabyle’’, de la tension et de l’ennemi intérieur, de l’état d’exception pour bâtir et imposer les instruments de leur contrôle. » Aït Ahmed, en sa qualité d’« historique », ajoute ensuite : « En vous regardant, je suis déçu : vous êtes jeunes et vous suivez aveuglément vos chefs, quand bien même ils mènent le pays à la catastrophe. En 1953, nous avions votre âge et nous avons refusé d’être des béni oui-oui quand le combat des chefs -messalistes contre centralistes- risquant de tout compromettre. En 1954, nous avons engagés une dynamique populaire qui les a dépassés tous et qui, heureusement, nous a aussi dépassés. Voir des jeunes transformés en tortionnaires me donne envie de vomir. » Un responsable de la SM, Abderazak, semble ému. Celui-ci a déjà avoué à Aït Ahmed : « J’ai reçu l’ordre de te torturer et de traiter comme un malfaiteur. »
Mon propos concernant principalement le cas de Ali Mécili, je ne vais aborder les vicissitudes touchant l’emprisonnement et la séquestration de plusieurs autres personnage malgré leur importance…
Pourquoi les responsables de la SM, pourtant sanguinaires et peu scrupuleux, n’ont pas exécuté Mécili ? Réponse de Ali : « Ils auraient pu m’exécuter les premiers jours, ne serait-ce qu’à titre d’exemple pour rendre crédible la sanction prévue contre les ‘‘traitres’’, racontera Ali plus tard à Aït Ahmed. Après la stupeur et l’arrestation immédiate des officiers qui me fréquentaient le plus, ce fut la haine fanatisé. Ben Hamza [chef du service opérationnel de la SM] et ses hommes avaient envie de me déchiqueter. Au secret où j’étais confiné à double tour car on voulait faire le moindre bruit possible dans les services, j’ai reçu la visite de Kasdi Merbah, une minute, juste le temps de me dire en arabe marocain : ‘‘Tu ne vaux pas un oignon’’ et de me fusiller d’un regard appuyé. »
Ali Mécili restera en prison plus d’une année. Sévices avec.
Le 1 novembre 1965, Ali est libéré en vertu de l’accord entre le FLN et le FFS - comme nous allons le voir dans la partie suivante. Et en attendant, un pronunciamiento se profile.

Par Lyes Akram
III- L'exil...

1 commentaire :

  1. J'attends cet exil fini par l'assassinat. Excellent article

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