jeudi 23 février 2012

Le parcours récent de Ali Haroun, par Algeria-Watch


Par Algeria-Watch
(…) Il est surtout nécessaire de présenter M. Ali Haroun, qui n’est pas seulement un «ancien membre de la direction de la Fédération de France du FLN», mais aussi, (…) «ancien ministre et ancien membre du Haut Comité d’État». Ces deux dernières fonctions méritent d’être détaillées pour rappeler que M. Ali Haroun a fait partie, en tant que civil, du groupe dit des «janviéristes», principalement composé de généraux qui ont planifié et réalisé le putsch du 11 janvier 1992 en Algérie.
En tant que ministre des Droits de l’homme du 18 juin 1991 au 22 février 1992, il porte une lourde responsabilité pour avoir exigé l’ouverture de camps de détention, ne pas avoir dénoncé la répression et les violations de la loi par les responsables militaires, politiques et judiciaires ; mais surtout, pour avoir activement participé à la mise en place d’un État de non-droit en étant membre du Haut Comité d’État entre le 14 janvier 1992, jour de sa création, et sa dissolution au 31 janvier 1994.

Ali Haroun,
Acteur de premier plan de la terreur d’État des années 1990 en Algérie
Passons rapidement sur la période de juin à décembre 1991, où M. Haroun ne s’est pas distingué dans sa fonction de ministre des Droits de l’homme, alors même que de graves entraves à la loi et d’importantes violations des droits de l’homme étaient le fait d’institutions publiques. Bien au contraire, alors que des centres d’internement sont créés en catimini en juin 1991 dans le Sahara pour recevoir les « personnes dont l’activité peut porter atteinte à l’ordre public » — lors de la première vague de répression contre les membres et sympathisants du Front islamique du salut (FIS, parti légalisé en septembre 1989) —, il « déclare que l’ouverture des centres de sûreté a été exigée et obtenue par le ministère des Droits de l’homme(1) ».
Mais venons-en aux premières élections législatives pluralistes qu’a connues l’Algérie depuis son indépendance. Le second tour devait avoir lieu le 16 janvier 1992 et laissait prévoir une victoire écrasante du FIS, puisque lors du premier tour du 26 décembre, il avait déjà obtenu un peu moins de la moitié des sièges. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, le général Larbi Belkheir, avait officiellement confirmé la régularité des résultats électoraux. Mais très rapidement, ce dernier se concerte avec ses pairs à la tête de l’armée et de la police politique (le DRS) et ils décident de ne pas autoriser de second tour.
« Car la machine infernale, écrivent les journalistes Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire, est déjà en branle et le coup d’État se prépare dans l’ombre sur deux fronts, civil et militaire. Le surlendemain du scrutin, une “cellule de crise” est créée par Larbi Belkheir : “Il y avait du côté du gouvernement deux ministres, Me Ali Haroun [et] M. Aboubakr Belkaïd […], et deux officiers du côté militaire, pour réfléchir à la gestion de la crise toute nouvelle qui nous tombait sur la tête”, racontera l’ancien Premier ministre Sid Ahmed Ghozali(2). Le ministre de la Communication Aboubakr Belkaïd, présumé “proche” du RCD, et le ministre des Droits de l’homme Ali Haroun vont être chargés de la mobilisation de la “société civile”, ou plutôt des diverses composantes de l’“Algérie Potemkine” qui constitue la façade présentable du régime(3). » Ali Haroun est ainsi à l’initiative du Comité national de sauvegarde de l’Algérie, sensé regrouper les représentants de cette société civile opposée au second tour des élections prévu pour le 16 janvier 1992 – en réalité ultra-minoritaires dans le pays.
Et il continuera de jouer un rôle décisif dans l’éviction forcée du président de la République, contraint à démissionner le 11 janvier 1992, et les tragiques événements qui vont suivre. Depuis lors, il s’est toujours refusé à reconnaître qu’il s’agissait bien d’un coup d’État, persistant à affirmer contre l’évidence que Chadli Bendjedid aurait démissionné volontairement et que « l’interruption a été non seulement salvatrice, mais indispensable pour le pays(4) ». Quand on sait que la « sale guerre » inaugurées par ce putsch a fait au moins 150 000 morts, 10 000 à 20 000 disparus et des dizaines de milliers de torturés, on mesure son caractère « salvateur » pour le peuple algérien...
Le général Khaled Nezzar, l’un des principaux artisans du coup d’État, alors ministre de la Défense et membre du HCE, a pourtant reconnu dans ses mémoires publiées en 2001, au sujet du rôle de Ali Haroun dans le « retrait » du président : « La fameuse lettre de démission que M. Chadli avait lue à la télévision le soir même avait été rédigée par le général Touati et par Ali Haroun(5). » Le président écarté le 11 janvier, on apprend que le Parlement a été dissous (par décret antidaté). Le 12, le Haut Conseil de sécurité, composé de trois généraux, dont le général Nezzar, constate l’impossibilité de poursuivre le processus électoral.
Parallèlement, les putschistes s’efforcent de trouver des subterfuges pour afficher un semblant de légalité. En premier lieu, il leur faut trouver une personne de consensus, légitime, pour représenter l’Algérie. Ali Haroun se rend chez Mohamed Boudiaf, en exil au Maroc depuis des décennies : il est l’un des vingt-deux « historiques » qui ont déclenché la guerre de libération en novembre 1954. Il parvient à le persuader qu’il est indispensable pour « sauver » l’Algérie. Le 14 janvier, est créée ex nihilo le Haut Conseil d’État, une institution anticonstitutionnelle. Présidée par Mohamed Boudiaf, y figurent quatre autres membres, dont le général Khaled Nezzar, ministre de la Défense, et Ali Haroun, ministre des Droits de l’homme. Le texte de proclamation du HCE précise : « Le Haut Comité d’État exerce l’ensemble des pouvoirs confiés par la Constitution en vigueur au président de la République(6). »
C’est donc en tant que ministre des Droits de l’homme et membre du HCE que Ali Haroun participe à la décision du pouvoir putschiste d’instaurer de l’état d’urgence, le 9 février 1992 ; et d’ouvrir, à partir du 13 février, sept camps de détention dans le Sahara, où des milliers d’hommes sont rapidement et arbitrairement emprisonnés, sans avoir été jugés. Certains y passeront plusieurs années et y contracteront de graves maladies, notamment ceux qui ont été exposés à la radioactivité à Aïn M’guel et Reggane, sites des essais nucléaires français des années 1960(7).
Après la dissolution du ministère des Droits de l’homme le 22 février 1992, Ali Haroun continue de co-assumer les plus hautes responsabilités de l’État en tant que membre du HCE. Parmi les décisions qui enfoncent le pays dans l’illégalité, figurent la dissolution administrative du FIS et la dissolution des assemblées communales élues à majorité FIS (remplacées par des délégations exécutives communales désignées par le ministre de l’Intérieur, le général Larbi Belkheir), alors que les rafles sont quotidiennes et que des milliers de sympathisants du FIS sont arrêtés, torturés et emprisonnés arbitrairement.
Puis survient l’inimaginable : le 29 juin 1992, le président du HCE, Mohamed Boudiaf, est assassiné par un membre de sa garde, en direct à la télévision, alors qu’il prononce un discours à Annaba. Personne ne doute alors que ce crime a été commandité par ceux-là mêmes qui l’avaient fait roi, car ils ne supportaient plus les velléités de Boudiaf de rogner leurs pouvoirs, en particulier leur mainmise sur les circuits de corruption. Le quarteron de généraux qui avait pris le pays en otage émet ainsi un signal clair : tout opposant à son plan de contrôle total des richesses nationales et de la société finira comme Boudiaf.
Mais Ali Haroun reste au sein du HCE et contribue à mettre en place l’impressionnant arsenal militaire et judiciaire – caractéristique d’une authentique dictature – dont subsistent jusqu’à nos jours certains éléments. En septembre 1992, est créé le Centre de conduite et de coordination des actions de lutte antiterroristes (CCLAS), qui va plonger pendant sept ans le pays dans la « sale guerre » : les quelques milliers de paras-commandos des « régiments d’élite », ainsi que les hommes du DRS (Département renseignement et sécurité), reçoivent carte blanche pour éliminer tous les opposants supposés, en recourant systématiquement à la torture, aux exécutions extrajudiciaires et aux disparitions forcées. Des crimes contre l’humanité très largement documentés par les ONG internationales de défense des droits de l’homme(8).
Le 30 septembre 1992, une loi antiterroriste est promulguée : la définition du « terrorisme » est on ne peut plus large et permet de criminaliser toute forme d’opposition, la garde à vue est prolongée à douze jours, l’âge de la responsabilité pénale fixée à seize ans, les peines de prison sont doublées et des « cours spéciales », véritables tribunaux d’exception dont les juges siègent de manière anonyme, sont instituées. En décembre 1992, le couvre-feu est instauré dans toutes les wilayas du Nord.

De la Fédération de France au soutien aux tortionnaires
Avec la nomination (sans élection) du général Liamine Zéroual à la tête de l’État le 31 janvier 1994, le HCE est dissous. Ali Haroun n’est désormais plus sur le devant de la scène, mais jamais il ne remettra en cause les décisions auxquelles il a participé quand il était à la tête de l’État et le rôle qu’il a joué dans la couverture des crimes contre l’humanité alors commis par les forces de sécurité. Bien au contraire, quand le général Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense, sera confronté le 25 avril 2001 à Paris à des plaintes pour torture et sera exfiltré par les autorités françaises pour ne pas avoir à se justifier devant la justice, l’avocat Ali Haroun rédigera, avec d’autres collègues, un copieux mémoire en réponse à ces plaintes, visant à nier la réalité des dérives(9).
En juillet 2002, Ali Haroun a une nouvelle fois l’occasion d’exprimer son soutien au général Nezzar en témoignant en sa faveur lors du procès en diffamation intenté par ce dernier à Paris contre l’ex-lieutenant dissident Habib Souaïdia, auteur du livre La Sale Guerre, procès qui a duré cinq jours et à l’issue duquel Nezzar sera débouté. À cette occasion, Ali Haroun, dix ans et plus de 150 000 morts plus tard, a encore justifié le coup d’État de janvier 1992 : « Par contre, j’estime qu’à partir du moment où tous les démocrates, les travailleurs, les intellectuels, les artistes, se sont trouvés être les victimes de ces fous de Dieu, l’armée algérienne a été objectivement l’alliée des démocrates. Quels ont été ses objectifs lointains ? Je ne le sais pas. Mais normalement elle a été notre alliée, et c’est grâce à cette armée que nous avons pu tenir(10). »
Enfin, le 15 décembre 2011, Ali Haroun a signé une pétition de soutien au général Nezzar, poursuivi pour torture par la justice suisse. Après sa garde à vue, ce dernier a pu retourner en Algérie en assurant qu’il se tenait à la disposition de la justice suisse, qui continue d’instruire les plaintes pour tortures déposées contre lui. Voilà donc, dans ses grands traits, le parcours récent de l’homme, qui n’a rien renié (…).

Notes :
1. Abed Charef, Algérie, le grand dérapage, L’Aube, La Tour d’Aigues, 1994, p. 171.
2. Sid Ahmed Ghozali, in Habib Souaïdia, Le Procès de « La Sale Guerre », La Découverte, Paris, 2002, p. 109.
3. Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire, Françalgérie. Crimes et mensonges d’États, La Découverte/Poche, 2005, p. 242.
4. Youcef Rezzoug, interview de M. Ali Haroun, dans : « Il y a dix ans, l’arrêt du processus électoral : Chadli démissionne », Le Matin, 9 janvier 2002.
5. Khaled Nezzar, Algérie : échec à une régression programmée, Publisud, Paris, 2001, p. 168.
6. « Proclamation du 14 janvier instaurant le Haut Comité d’État (HCE) », 14 janvier 1992
7. Algeria-Watch, Le Drame des ex-internés des camps du Sud, 26 juillet 2010, complété le 2 juin 2011
8. Voir notamment les rapports circonstanciés présentés en novembre 2004 à Paris, lors de 32e session du Tribunal permanent des peuples consacrée aux violations des droits de l’homme en Algérie :
9. Réponse publiée sous forme de livre : Ali Haroun, Leila Aslaoui, Khaled Bourayou, Kamel Rezag Bara, Abderrahmane Boutamine et Zoubeir Soudani, Algérie : arrêt du processus électoral, enjeux et démocratie, Publisud, Paris, 2002.
10. Habib Souaïdia, Le Procès de « La Sale Guerre », op. cit., p. 120.

P.S.
Cet article est un extrait de : 
Ali Haroun ne devrait pas etre l'hote d'une commémoration du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie 
Publié in Algeria-Watch, le 20 février 2012.
Sont supprimés deux paragraphes relatif à un colloque organisé en France autour de la Guerre de d'indépendance algérienne.

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