dimanche 1 mai 2016

Pourquoi le régime algérien tolère ou produit le salafisme



Abdelfattah Hamadache avait émis une fatwa condamnant l'écrivain Kamel Daoud à mort. Il a été condamné à trois mois de prison.
Par Lyes Benyoussef
Rendons hommage, pour commencer, à Sidi Mohamed El Hadi El Hamlaoui, le Cheikh de la zaouïa El Hamlaouïa à Mila, pour son courage et son honnêteté. Il a été le seul à avoir refusé sa zaouïa au sieur Chakib Khelil qui, par une tournée obscène dans les zaouïas du pays, entreprend sa propre promotion politique. Le Cheikh, approché par l’entourage de Khelil, a répondu selon El Watan : « Notre zaouïa a une vocation religieuse et ne se mêle jamais de politique ni de manœuvres politiciennes. » Admirez la précision : « … ni de manœuvres politiciennes. » Ce propos contient en outre une franche acceptation de la sécularité. On comprend aisément qu’il s’agit d’une opinion minoritaire. Cela dit, cet article aborde autre chose : un exemple de l’islam salafiste.

L’islam, une réalité profonde en Algérie

En Algérie, le poids de la religion n’échappe à aucun observateur. L’historien Mohammed Harbi écrit dans un article paru en 1994 : « l'islam est inscrit dans les profondeurs de la réalité algérienne. Il n'est pas une structure religieuse autonome et circonscrite dans une société aux pratiques sécularisées. Il a façonné l'espace symbolique où s'est inscrit le politique. Et l'action de l'État en place depuis 1962 n'a en rien modifié cela parce que jamais n'a été entreprise l'institution d'un nouvel espace national qui aurait opposé sa ferveur civique au poids du religieux. »
Si tel est le cas de l’Algérie, il faut aussi parler avec Edward Said des islams. Par rigueur. Car, on le sait, il y a à peu près autant d’islams que de musulmans, autant de corans que de lectures de coran et autant de lectures que de lecteurs, etc.

Le salafisme quiétiste, un discours somnifère

Un islam en particulier, le salafisme, pose un sérieux problème aux sociétés modernes. Et dans toutes ses variantes : quiétiste, politique et, bien évidemment, djihadiste. C’est que ses adeptes croient que tout ce qui est nécessaire et utile à la vie a été découvert ou inventé il y a 14 siècles. Par les compagnons du Prophète et leurs compagnons, les fameux Salafs (prédécesseurs, ancêtres). Point n’y manque.  Rien à y ajouter.  Il suffit d’appliquer. Et ceux qui s’y refusent sont naturellement considérés comme hérétiques. Le simplisme et la rigidité de ce dogme expliquent que certains salafistes excommunient ouvertement d’autres musulmans. Aussi cet islam salafiste est-il pleinement résumé par la célèbre phrase de Marx, « l’opium du peuple. »
À cet égard, voici mon témoignage, qu'il convient d'abord de situer dans son contexte.
La nuit du 29 au 30 avril, à environ minuit, j’étais connecté sur Twitter. J’observe qu’une tendance est « Twitter sur Algérie », autrement dit un des thèmes les plus discutés par les internautes. Inscrit sur Twitter depuis 2009, je ne m’y suis connecté très rarement avant 2016.

Un exemple de salafiste

Lorsque début 2016 je me suis connecté, j’étais étonné de la stupidité des propos de nombre d’Algériens sur Twitter (et de la profondeur des divisions). Ils paraissaient tous des adolescents sexuellement frustrés. (Si seulement ils sont vraiment adolescents !) Quand j’ai vu « Twitter sur Algérie » comme tendance, et aussi « Exposer Anouar Malek », j’ai posté un Tweet. (Rappelant que le nommé Anouar Malek, en fait Nouar Abdelmalek, se présente comme ancien militaire, torturé en prison par l’islamiste Bouguerra Soltani — contre lequel il a déposé plainte, on s’en souvient. Il a été tour à tour, lèche-cul du régime marocain — il a fondé le site Algeria Times, ouvertement pro-marocain — avant de se retourner contre lui par un reportage publié par Echorouk discréditant les thèses marocaines sur le Sahara Occidental. Et puis, et avec zèle, il devient un lèche-cul du régime algérien, publiant des articles dans la presse arabophone. Et aujourd’hui il s’exhibe ouvertement pro-saoudien — « les critiques de la monarchie saoudienne le sont par haine de l’islam » (sic) — et iranophobe primaire. Bref, Anouar Malek se vend au plus offrant.)
À mon tweet, 11 minutes plus tard, répond un salafiste. Son pseudonyme : « Devrais-je me taire à leur propos » (sic). Son lien sur Tweeter @salafie1987. Je présume qu’il s’agit d’un jeune salafiste né en 1987. Et quelques Tweets plus loin, le jeune m’apprend que mes propos, ou plutôt mes interrogations sur le régime algérien sont clairement illicites. Autant dire, je ne suis pas assez bon musulman. Voici la « conversation ».

« Conversation » avec un salafiste



- Lyes : « La plupart des thèmes abordés par les Algériens sont futiles et engendre de la frustration, voire plus. Mais avec ‘‘exposer Anouar Malek’’ il y a peut-être des germes de conscience et d’espoir »
-Salafiste : « Bonne description et avec précision, que Dieu te bénisse, il est vrai que la majorité des thèmes sont futiles et révèle un faible discernement chez ceux qui les choisissent. On veut un niveau plus élevé…


-Salafiste : « … on veut un niveau plus élevé et s’intéresser aux choses importantes qui concernent l’Algérie et la Oumma islamique »


-Lyes : « Les thèmes importants en Algérie actuellement sont nombreux, mais à leur tête il y a la maladie de Bouteflika, qui gouverne réellement et qui lui succèdera, serait-il le corrompu Chakib Khelil ? »
-Salafiste : « Écoute mon frère, ce qui est illicite en religion, nous n’en parlons pas. Et la question de Bouteflika et de qui gouverne, c’est en religion illicite (la yadjouzou char‘ane) d’en parler et le devoir est l’obéissance de préférence. »
[Voyant clairement une excommunication implicite, je ne réponds pas pour qu’elle ne devienne pas explicite. Et le salafiste continue :]
-Salafiste : « Je suis sur le dogme des Anciens (Salafs) qui interdit de parler du gouverneur (el hakim) et ordonne d’éviter de tels sujets et mon conseil pour toi est ‘‘abandonne’’ et ne t’intéresse que par ce qui te concerne. »
Ainsi donc, l’identité de celui qui règne ou gouverne est sans intérêt pour les sujets, ces brebis (ra‘aya) que nous sommes !

Un autre salafisme ?

Ce discours n’est pas le seul qu’un salafiste puisse tenir. Car il y a salafisme et salafisme. Ou plutôt trois types ou avatars de salafisme.
 
La divergence est tactique, les trois convergent sur la condamnation de la modernité et de toute forme de sécularité. Et en vérité, tous arrangent différemment les régimes arabes illégitimes et autoritaires comme celui d’Algérie. Celui cité en exemple dans cet article (« salafisme quiétiste », avec le cheikh Muhammed Nacer ad-din al-Albani comme guide, et pour qui : « Il fait partie de la [bonne] politique, aujourd'hui, de délaisser la politique ») légitime ces régimes en excluant le champ politique de ses préoccupations. Le deuxième, « salafisme politique », s'il n'exclue pas la politique, soutient lui aussi les régimes arabes comme le parti Ennour en Égypte qui a soutenu le coup d’État militaire contre un président pourtant islamiste au nom de la soi-disant interdiction de désobéir au tuteur (ici le gouverneur de facto, même illégitime). Et il y a celui qui justifie la gestion sécuritaire de la société par sa simple existence. Car à côté de ces deux salafismes plus ou moins pathétiques, il y a un autre, le « salafisme djihadiste », plutôt activiste, et plus connu mondialement sous la dénomination de terrorisme islamiste. Ainsi, dans le monde arabe et en Algérie, salafisme(s) et autoritarisme font bon ménage.

L. B.

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