lundi 9 avril 2012

Général Mohand Tahar Yala : «Le changement ne peut être que radical»

Le général Mohand Tahar Yala, 65 ans, ancien patron des forces navales, compte lancer, avec d’autres cadres militaires et civils, un «mouvement national pour la citoyenneté». Une initiative qu’il prépare depuis trois ans afin de poser les jalons d’un «changement radical», selon ses déclarations. El Watan Week-end l’a rencontré pour plus de détails sur sa démarche et son analyse de la situation politique actuelle.

-Pourquoi prendre la parole* presque sept ans après votre retraite des rangs de l’ANP ? Et quelle est la part de l’ancien général et celle du citoyen dans votre démarche rendue publique ?
Mon grade de général est l’aboutissement d’une carrière linéaire et de formations militaires qui m’ont permis d’acquérir le processus d’évaluation d’une situation donnée et de prise de décision dans un environnement aussi complexe et difficile que lors d’un conflit armé. Un général ne se contente pas de dresser un état des lieux, son esprit est formé pour chercher des solutions et pour agir en vue d’atteindre l’objectif final : le succès, la victoire. S’il réfléchit sans agir, c’est la défaite ! Mais le citoyen actif et patriote, pour sa part, existe avant le général et avant le militaire. Il est animé par l’amour de la patrie et est disposé à mettre toute son énergie pour contribuer à son apaisement, sa sécurité et son développement. Pourquoi ai-je attendu tout ce temps avant de parler ? Après la retraite, il m’a fallu des années de lectures, d’études, de recherches historiques et de contacts pour évaluer l’état des lieux et mesurer l’écart entre la situation du pays et ce que l’Algérie aurait pu devenir compte tenu de son magnifique potentiel. Et surtout, pour appréhender la solution politique et étudier sa faisabilité et son opportunité. J’en suis arrivé à la conclusion, que la citoyenneté est la seule idéologie pouvant faire de l’Algérie un pays puissant et prospère. Au début de ma retraite, je ne pouvais pas prendre la parole, tenu par mon devoir de réserve et parce que je n’avais pas encore de solution à proposer. Il est vrai qu’au cours de ma carrière, j’ai eu la chance de participer à plusieurs travaux de réflexion, de 1986 à 1992, à l’Institut des études de stratégie globale, qui m’ont permis, au contact d’éminents universitaires, d’élargir mon champ de vision sur les défis de notre nation, mais c’est surtout après mon départ à la retraite que j’ai beaucoup appris.

-Quel a été l’élément déclencheur de votre prise de parole ?
Plusieurs éléments, dès 2006, m’ont fait ressentir tout le mal que vivait mon pays : des jeunes candidats à l’émigration clandestine qui risquent leur vie dans des traversées périlleuses, au suicide d’une petite écolière parce que son père n’a pas les moyens de lui acheter les fournitures scolaires et préfère privilégier son jeune frère qui, lui, est un garçon ! A mes yeux, il ne s’agissait pas là de drames personnels ou familiaux, mais à chaque fois d’un drame national.

-A partir de quel moment avez-vous senti que la situation du pays devenait périlleuse ?
Il faut se placer dans un contexte régional et international. D’abord, il y a eu le morcellement du Soudan «un pays trop grand pour les Soudanais», selon certains états-majors politiques. Nous avons des raisons de croire que certains de nos «partenaires» pensent également que «l’Algérie est trop grande pour les Algériens» ! Ensuite, les révolutions arabes n’ont touché, comme par hasard, que des républiques (quid du Bahreïn et de l’Arabie Saoudite ?). J’ai alors fait le parallèle avec les révolutions dans les pays de l’ancien Pacte de Varsovie dans les années 1989-1990 et l’exemple de la Yougoslavie, un pays où on pensait avoir déjà fait sa propre révolution, et qui a fini morcelé après une terrible guerre civile. Tous ces éléments ont provoqué notre mobilisation intellectuelle dans le but de trouver et de proposer une solution pouvant éviter au pays un prix trop fort à payer.

-Justement, pourriez-vous nous en apprendre plus sur le Collectif pour la réédification de la nation algérienne ? Ses objectifs à court et à moyen termes ?
Le collectif est constitué d’un groupe de patriotes, anciens cadres de la société civile et de l’armée, et d’universitaires attentifs aux évolutions du contexte international, aux menaces qui guettent notre pays aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur. Des menaces qui peuvent mettre en cause l’intégrité et l’unité de l’Algérie. C’est un ensemble d’Algériens qui savent qu’ils n’ont pas d’autre pays de rechange. Nous avons tissé des relations avec toutes les composantes du peuple et toutes les tendances dans le but de cerner le plus grand dénominateur commun applicable à un projet de société viable pouvant mettre le pays dans la voie de l’unité et du développement. C’est un collectif citoyen ouvert à tous, toutes générations confondues, en relation avec toutes les composantes de notre société. Notre objectif à court terme est, une fois le travail de base effectué, de lancer un mouvement national de citoyenneté. Nous visons la convergence de tous ces Algériens qui aspirent au meilleur sort pour leur pays. Nous ne nous engageons pas dans un agenda imposé, ni ne voulons entrer dans de faux débats ou de combats entropiques. Il y a suffisamment, malheureusement, de divisions créées entre Algériens. 

-Quel écho a eu votre appel pour une «démarche populaire pour un Etat de citoyenneté» au sein de vos anciens collègues du commandement militaire et au sein de la société civile ?
Tous les échos qui nous sont parvenus ont été extrêmement favorables, de la part de mes anciens collègues, mais aussi de jeunes cadres. Souvent, on nous interpelle avec la même question : votre proposition est ce à quoi nous rêvons, mais comment y aboutir ?

-Votre collectif appelle à un «changement radical». Voulez-vous nous préciser cette idée ? Quelles en seraient les étapes ? S’agit-il de changer une personne ou tout un système ?
Il ne s’agit pas d’une seule personne. Mais de tout un système, bien sûr. Le changement ne peut être que radical parce que la situation actuelle est si lointaine des principes mêmes de la citoyenneté, qui reste un programme ambitieux pour le pays, échelonné sur des étapes. Un pays comme le Singapour - car il faut bien se nourrir des expériences des autres - était à genoux il y a cinquante ans, divisé avec des ethnies différentes et plusieurs religions. Mais il a su rebondir pour devenir un des pays les plus prospères du monde malgré l’absence de toute ressource naturelle, grâce à l’application du concept de citoyenneté comme contrat social. Alors pourquoi l’Algérie, avec son homogénéité ethnique et religieuse, avec ses formidables ressources humaines et naturelles, reste aussi dépendante de la désastreuse économie de la rente et aussi peu attrayante pour ses propres jeunes qui préfèrent partir ailleurs, parfois au péril de leur vie ? Pourtant avec sa position géographique centrale, ses ressources et son histoire, l’Algérie peut constituer une véritable locomotive de la région nord-africaine. C’est là notre ambition en tant qu’Algériens. 

-Vous axez votre initiative d’une «IIe République» sur le concept de «citoyenneté» : concrètement, comment voyez-vous se réaliser ce concept qui reste assez vague ?
Le concept de citoyenneté est une véritable révolution. C’est d’abord un lien juridique commun entre les citoyens, dans une parfaite égalité des droits et des devoirs, basé sur la sauvegarde de la cohésion sociale et nationale. Même notre histoire et notre culture nous aiguillent vers des modèles de citoyenneté adoptés par nos aïeux pour éviter les dissensions et pour promouvoir le vivre ensemble qui construit une société forte, un Etat fort par l’adhésion volontaire de ses citoyens. La citoyenneté se décline en deux principes : la civilité et le civisme. La civilité, c’est d’abord le respect de la dignité de tous les citoyens à tous les échelons. Du simple citoyen, au général et au juge. Tous doivent respecter la dignité du citoyen. Ensuite, il y a le respect de l’espace et du bien public (nous devons en finir avec la mentalité du baylek) et enfin et surtout, le respect du drapeau !
Quant au civisme, il s’agit du respect de la loi et des règles, une certaine idée de la solidarité déjà très ancrée dans notre société, et la liberté, la liberté des individus dans le respect de la liberté des autres citoyens. Nous souhaitons d’abord établir un pacte de la citoyenneté qui fixe les valeurs pérennes et les grands principes de l’identité algérienne. Un pacte enrichi grâce à l’apport de toutes les composantes de la nation algérienne et qu’il faudra faire voter par le peuple souverain pour le rendre immuable. Il faudra, en parallèle, peut-être envisager de dissoudre les partis actuels et réorganiser le paysage politique sur la base du dénominateur commun qui garantit l’intégrité de la nation et sa puissance. Il y aura d’autres mécanismes à mettre en place, qui seront précisés ultérieurement. Notre objectif est un Etat fort et des contre-pouvoirs aussi forts, un vrai système judiciaire qui ne méprise pas le citoyen et des médias réellement investis du quatrième pouvoir. Il faudra aller vers une Constituante, pour élaborer un texte rassembleur et ambitieux, fondateur de la deuxième République.

-Comment voudriez-vous «engager toutes les forces dans les meilleurs délais» pour ce projet de «réédification nationale» ? N’est-ce pas trop tard maintenant que la machine électorale (dont vous dénoncez le côté mercantiliste) a démarré ?
Le plus tôt, dans le processus de construction de la citoyenneté, serait le mieux ! Parce que nos ambitions sont très grandes pour notre pays. Mais il n’est jamais trop tard ! Nous nous mobilisons sans limite dans le temps. Il faut au plus vite nous inscrire, en tant que nation, dans une véritable dynamique de développement et d’apaisement, pour notre propre bien et pour celui de nos voisins. On ne veut pas, je le répète, subir un agenda imposé par les législatives, parce qu’on se retrouvera ainsi dans les mêmes éléments de langage répétés tous les cinq ans. On ne s’inscrit que dans l’agenda d’une Algérie puissante et qui donne toute la place à tous les Algériens.

-Vous évoquez une «intelligence satanique» qui a encouragé «la médiocrité» dans plusieurs instances de l’Etat ? Peut-on identifier cette entité ?
Certains ont pensé à une personne bien identifiée. Mais le fait est que cette entité n’est pas conjoncturelle, elle émane de l’alliance que j’ai dénoncée : une alliance entre l’opportunisme et la médiocrité à tous les échelons.  

-L’Algérie semble, selon vous, à un carrefour décisif de son histoire : défis internes, mais surtout externes (Printemps arabe, vague islamiste, déstabilisation du Sahel et convoitises énergétiques, notamment). Quels seraient concrètement les risques qu’encourt le pays dans l’actuelle conjoncture régionale et mondiale ?
Autour de la région du Hoggar, riche en matières premières, nous avons l’impression que des forces veulent vider cette zone stratégique pour nous imposer des solutions à nos dépens ! L’Algérie ne peut rester muette avec ce qui se passe à nos frontières sud. Notre pays doit avoir une réaction vigoureuse. Déjà, lors de la crise libyenne, Alger aurait dû s’imposer dès les premières manifestations armées à Benghazi comme un acteur important, qui pouvait parler à toutes les parties grâce à son capital diplomatique et symbolique, s’imposer comme une puissance régionale et pas regarder passivement se dérouler les événements. Avoir une position d’un pays fort, qui peut servir d’intermédiaire régional ou, si les belligérants outrepassent leurs engagements, imposer sa force. C’est ce qu’on doit faire au Mali avec les derniers dangereux développements. Ou nous sommes offensifs ou nous sommes perdants ! 

 *«Manifeste national pour la IIe République, une démarche populaire pour un Etat de citoyenneté», contribution publiée dans El Watan le 21 mars dernier.

Bio express :
Né en 1947, Mohand Tahar Yala obtient son bac mathématiques en 1966 avec une mention qui lui permet d’être retenu pour des études en France en mathématiques supérieures et en mathématiques spéciales. Il rejoindra la marine nationale en 1968 et suivra en parallèle une formation à l’Ecole navale de Brest (France) de 1968 à 1971. Après une formation d’état-major naval en Yougoslavie (1983-1984) et une formation en Egypte (1993-1994), le futur général Yala prend le commandement de la façade Est entre 1994 et 2000 (à Jijel) avant de prendre le commandement des forces navales entre 2002 et 2005, date de son départ à la retraite.

Adlène Meddi
El Watan 06 avril 2012



Collectif citoyen pour la réédification de la nation algérienne
Manifeste national pour la IIe République, une démarche populaire pour un Etat de citoyenneté


«Seigneur ! Donne nous de Ta part une miséricorde et assure nous la droiture dans tout ce qui nous concerne.»
(Coran, chapitre 18, verset 10)

Préambule
Pendant quelques années après l’indépendance du pays, les Algériens ont caressé le rêve d’une Algérie qui avance et qui pourrait, sinon impliquer sa volonté dans la transformation du monde, du moins jouer un rôle important et compter parmi les puissances.
Etait-ce un rêve fou ? Assurément non ! Parce que :
1- L’Algérie est un grand pays doté de beaucoup de richesses naturelles que de nombreux pays lui envient.
2- Le peuple algérien a donné de grands hommes et de grandes femmes tout au long de son histoire.
3- L’Algérie a marqué par le passé sa présence au nord de l’Afrique dans son environnement maritime, tandis qu’au sud elle a tracé les pistes commerciales et spirituelles vers l’Afrique noire, pistes que le colonialisme français a empruntées pour occuper toute l’Afrique occidentale jusqu’au golfe de Guinée. Lorsque la France a occupé l’Algérie côtière puis le Sud algérien, les portes de l’Afrique et du Maghreb lui étaient ouvertes. Avons-nous entendu parler d’un débarquement colonial français autre que celui de 1830 à Sidi Fredj ? Ce n’était donc pas un rêve fou.
Mais que s’est-il passé ? Comment expliquer les échecs et le fait que nous assistions, impuissants, à la décadence d’une nation qui ne mérite pas le sort qui lui est réservé, à un pays qui recule ? Un pays qui a vécu une panne économique majeure dans les années 1980 en découvrant que sa sécurité économique dépendait d’une seule ressource exportable, «les hydrocarbures», dont les cours ont brutalement chuté. Un pays qui, après 1991, a conjugué la mort au quotidien et a perdu plusieurs dizaines de milliers de ses enfants dans un conflit en apparence idéologique. Un pays, aujourd’hui, dont l’économie dépend encore plus qu’hier de l’exportation des hydrocarbures et dont la valeur ajoutée de sa richesse par le travail est quasi nulle.
Un pays qui ne possède pas de technologie et qui dépend de l’extérieur pour sa sécurité alimentaire et sa sécurité médicale, qui ne construit pas ses routes ni ses infrastructures et même une bonne partie de ses logements. Un pays qui a vu émigrer plusieurs dizaines de milliers de ses cerveaux et de ses jeunes cadres pour une hypothétique vie meilleure et qui, ces dernières années, voit une partie de sa jeunesse tenter des aventures suicidaires sur des bateaux de fortune pour quitter une situation désespérée et un pays riche et vivre un cauchemar certain et froid. Un pays qui assiste chaque jour à des manifestations génératrices de violences qui éclatent dans toutes ses contrées pour la moindre des revendications.
Un pays miné par la corruption et mis en danger par l’élargissement du fossé qui sépare les riches avec des fortunes inestimables pour la plupart mal acquises et l’immense majorité du peuple.
Beaucoup d’Algériens passent le seuil des 40 ans sans avoir pu réunir les moyens élémentaires pour fonder une famille. Ce phénomène touche même des diplômés de l’université. Un pays qui vit l’érosion des ancestrales solidarités parce que l’individualisme et la recherche du profit ont produit l’émergence d’une société sans repères ni valeurs et sans élites et ont participé en grande partie à la destruction du creuset familial.
Un pays dont l’école n’est pas adaptée aux besoins du monde du travail et qui n’arrive pas à coller aux réalités du monde moderne lequel évolue rapidement ; une école dont le niveau en constante baisse prive nos enfants d’un précieux outil dans la conquête de la modernité par la nécessaire acquisition du savoir, du savoir-faire et des compétences scientifiques ; une école qui forme des «candidats au chômage».
Un pays qui n’occupe plus sur la scène internationale qu’un strapontin au niveau de la Ligue arabe. A titre d’exemple, il suffit de rappeler les échanges insolents vis-à-vis de notre pays lors de la réunion, à propos de la Syrie, des ministres des Affaires étrangères de ladite Ligue au Caire il y a environ 3 mois. Pourtant, l’Algérie avait acquis, grâce aux sacrifices consentis par son peuple lors de la Guerre de Libération, un capital sympathie immense qui lui ouvrait toutes les portes diplomatiques, y compris dans le monde occidental. Grand était le poids que représentait notre pays dans la conscience du monde. Aujourd’hui, nous n’avons plus rien à proposer dans les grands forums mondiaux, même quand notre souveraineté est en cause, même quand des feux allumés à nos frontières menacent directement notre stabilité et notre unité. Un pays où le système électoral, avec une démocratie de façade, est gangrené par l’attrait de l’argent.
Tout au début du processus déjà, lors de l’établissement des listes des candidats de certains partis, une lutte atroce s’établit pour occuper les premières places sans considération aucune ni pour l’intérêt du parti ni encore moins l’intérêt national. La médiocrité s’installe dès le départ en pole position et au niveau de beaucoup d’instances de l’Etat s’installent des personnels n’ayant aucune culture de l’Etat et encore moins de la citoyenneté. Il eut fallu qu’une «intelligence satanique» soit de la partie pour arriver à un tel résultat. Il est vrai que le travail de cette intelligence a été facilité par la complicité de personnes avides, très peu soucieuses de l’intérêt du pays et du peuple et cultivant l’individualisme et l’égocentrisme à l’excès.
C’est ainsi que, maintenant, l’immense majorité de citoyens a perdu l’espoir en l’avenir, leur avenir et l’avenir de leur pays. «Or, si les citoyens perdent l’espoir en l’avenir de leur pays, le pays n’a plus d’avenir». Ceci est le nœud du problème et c’est également la solution : en un mot, il faut redonner l’espoir au peuple.
Une analyse succincte des systèmes politiques post-coloniaux des pays colonisés par la France, Etat-nation jacobin et centralisateur, révèle une résistance de certaines pratiques en usage pendant la période coloniale, pratiques qui s’adressaient à des populations de races et de civilisations inférieures et qui s’adressent, après les indépendances, à des peuples le plus souvent méprisés et qui «n’auraient pas encore atteint la maturité» pour prendre leur souveraineté en charge.
En ce qui concerne notre pays, ce n’est pas la pratique politique actuelle qui pourrait contredire cet état de fait.

De la rupture
Il est impossible de revitaliser la vie politique par la démagogie et le mensonge ou par des replâtrages de façade qui ne font que maintenir les choses en l’état, dans ce qui ressort d’une fuite en avant avec, au bout du chemin, une explosion sociale majeure et un risque d’éclatement de l’Algérie, éclatement souhaité et peut-être même planifié par les ennemis de cette nation. Ce qu’il faut, c’est une véritable rupture et un changement radical.

Vers la IIe République
Un demi-siècle après l’indépendance, la seule solution qui s’impose et qui est à même de propulser l’Algérie dans le XXIe siècle est celle qui consiste à instaurer une IIe République sur la base d’un Etat de citoyenneté.
La citoyenneté est le système idoine qui permettra de faire barrage aux excès des idéologies et d’éviter les conflits politiques, parce qu’elle est basée sur ce qui rassemble le peuple. Elle s’érigera sur la base d’un dénominateur commun défini dans un pacte national de citoyenneté qui fixera les grands principes de l’identité commune et les valeurs pérennes de la nation, lequel constituera le premier acte fondateur de la IIe République. Elle permettra aussi l’édification d’un Etat fort parce qu’il sera l’émanation de la souveraineté du peuple avec des pouvoirs forts et responsables, une opposition forte et crédible et une société civile active et participative, tous unis dans les efforts en vue de conférer au pays une plus grande dimension de puissance et un plus grand poids spécifique tout en renforçant la cohésion sociale et préservant l’unité nationale.
Les quelques pays dans le monde qui ont réussi à instaurer un Etat de citoyenneté figurent parmi les pays les plus prospères. Or, nous avons une plus grande marge de développement parce que nous avons un grand pays doté de beaucoup de ressources, qu’elles soient naturelles ou humaines.
Les experts en stratégie prospective placent le continent africain parmi les enjeux majeurs de la fin du XXIe siècle parce que, avec l’accroissement démographique de l’humanité, l’accès à la production alimentaire deviendra le défi principal. Ainsi, la course des puissances et le déploiement des forces ne viseront plus les réserves d’énergie fossile, car les évolutions technologiques permettront d’apprivoiser les énergies renouvelables. L’Afrique, parce qu’elle constitue le continent où la marge de développement de la production alimentaire est la plus forte, sera par conséquent fortement convoitée. Nous sommes partie prenante de cette course parce que nous sommes africains et donc directement concernés.

De l’Etat de citoyenneté
Unis dans un Etat de citoyenneté, nous réussirons certainement tous les défis ; nous bâtirons très rapidement un pays puissant ; nous établirons des échanges fructueux avec l’ensemble des pays à nos frontières dans le cadre d’un rapprochement naturel rendu facile par les continuités géographique et ethnique, ainsi que l’histoire et la civilisation communes. Les mouvements migratoires s’inverseront sûrement avec la création des richesses dans les vastes espaces non exploités et avec l’arrêt de la fuite des cerveaux et des forces vives de la nation. Notre système économique sera soustrait à l’économie «d’enclave» datant de l’ère coloniale et à celle de la rente qui a suivi.
L’immense majorité du peuple algérien adhère à cette idée parce c’est un peuple qui n’accepte pas les échecs et qui aspire à appartenir à un pays qui avance dans l’unité et la dignité dans le concert des nations.
Uni dans un Etat de citoyenneté, notre pays réussira ce que l’histoire lui impose d’entreprendre, c’est-à-dire l’édification d’une réelle et puissante civilisation maghrébine estimée par les pays voisins et respectée par les partenaires. Les succès de l’Algérie en feraient un modèle d’imitation et susciteraient un large mouvement d’adhésion d’abord au niveau de ses pays frères et voisins. Les mouvements de fragmentation en petits Etats espérés par l’«intelligence satanique» s’inverseront chez nous par un mouvement d’union et de construction. Comme il y a 50 ans, le 27 février 1962, dans les villes du Sud, le peuple algérien s’est exprimé dans le sang pour refuser le plan de partage du pays à la veille des accords d’Evian, aujourd’hui et demain il sera uni pour lutter avec toutes ses forces contre toute tentative de morcellement.
Unis dans un Etat de citoyenneté, nous mettrons en place un système qui prenne en charge l’enfant algérien depuis sa naissance pour satisfaire ses besoins élémentaires et donner aux générations futures une chance égale pour l’école, l’accès aux soins et l’accès au haut niveau et à la performance. C’est un investissement capital qui permettra d’éliminer toutes sortes de frustrations génératrices de malvie, de haine, de violence et d’attitudes suicidaires et de raffermir la cohésion du peuple et son patriotisme.
Il s’agit ici d’une appréciation de situation sans complaisance, qui évalue de manière succincte la situation de notre pays, qui propose des solutions et qui appelle à engager toutes les forces dans les meilleurs délais pour atteindre l’objectif dans un environnement rendu hostile par les contextes interne et externe ; cet objectif est de «sauver l’Algérie» de la décadence programmée et avec l’aide de Dieu, en faire un pays qui avance pour être au rendez-vous de l’Histoire, un objectif noble qui mérite tous nos efforts et tous nos sacrifices.Unie par un pacte de citoyenneté, l’immense majorité des citoyens reprendra espoir en l’avenir, son avenir et l’avenir de l’Algérie et des générations futures.

Alger le 19 mars 2012
Le général Yala Mohand Tahar : ex-commandant des forces navales

El Watan 21 mars 2012

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