(Lesoir.be) Alors
que les révoltes arabes célèbrent leur premier anniversaire ce mois, il y a
tout juste vingt ans ce 11 janvier, l’Algérie se réveillait avec un coup d’État
militaire interrompant le processus électoral. Pour parler de cet événement qui
nous rappelle que les islamistes avaient déjà pu vaincre à travers les urnes il
y a deux décennies, nous avons interrogé un homme, Salah-Eddine Sidhoum,
chirurgien orthopédiste de son état, qui incarne la résistance à la dictature
militaire algérienne par le combat pour le respect des droits de l’homme. Un
combat qui lui coûta la prison, neuf ans de clandestinité, une grève de la faim
et finalement un procès qui s’est soldé par un acquittement en 2003. Il anime
un site, www.lequotidienalgerie.org.
Pouvez-vous
résumer le coup d’État de 1992 ?
Les
premières élections législatives pluralistes qui ont eu lieu le 26 décembre
1991 ont été les plus libres depuis l’indépendance. Le peuple venait de
signifier au régime politique illégitime imposé par la force des armes sa
retraite définitive. Il venait de légitimer et de mandater les trois fronts :
FIS (islamiste), FLN rénové (nationaliste) et le FFS (social-démocrate) pour
diriger l’Algérie. Cette sanction populaire a provoqué un séisme au sein de
l’oligarchie militaro-financière qui, voyant déjà ses privilèges s’évaporer,
s’appuiera sur les leaders de micro-partis qu’elle avait créés dans ses
laboratoires, sur sa clientèle affairiste et rentière et sur ses «intellectuels» de service, comme vitrine politique du pronunciamiento qu’elle
préparait. Toute une campagne de désinformation fut menée dès le lendemain du
1er tour, créant un véritable climat de psychose. Il faut reconnaître que
certains dirigeants du FIS, par leurs discours incendiaires et populistes
facilitèrent ce travail de propagande. Le 2e tour des élections fut annulé, les
blindés sortis dans les rues et plus de 10.000 citoyens déportés dans les camps
de concentration de l’extrême Sud. La terrible machine répressive venait de se
mettre en marche. Et nous connaissons l’effroyable bilan de cet acte avec la
première violence du régime et la contre-violence d’une jeunesse sans présent
ni avenir : plus de 250.000 morts, plus de 10.000 disparitions, plus de 30.000
torturés, 500.000 exilés.
-L’armée
se disait soutenue par «la société civile»…
Ce
n’est pas l’armée en tant qu’institution nationale mais l’oligarchie
militaro-financière, une poignée de putschistes, qui porte l’entière
responsabilité d’avoir entraîné l’armée dans cette «sale guerre». Pour
revenir à votre question, cet hypothétique «soutien» faisait partie de la
propagande du régime. Si le régime était soutenu par la société civile, il
n’aurait pas eu besoin de mener une véritable guerre contre une bonne partie de
son peuple. Le régime était par contre soutenu par sa «société servile»,
cette minorité sans ancrage populaire, de syndicalistes véreux, d’intellectuels
de service et autres opportunistes rentiers qui papillonnaient autour du
système, qui craignaient eux aussi de perdre leurs privilèges mal acquis. Le
temps a permis de démystifier cette fausse image du drame algérien : de
méchants intégristes qui allaient abattre la République et la
démocratie pour instaurer un régime moyenâgeux et menacer l’Europe ! Ce
scénario des services de l’action psychologique de la police politique, soutenu
par la minorité élitiste éradicatrice fut malheureusement pris pour argent
comptant par de nombreux médias occidentaux durant assez longtemps avant que
cette imposture ne soit mise à nu.
-Ce
régime a-t-il évolué ?
Le
pouvoir n’a pas évolué dans le fond, il change seulement de maquillage. Il
pense continuer à gérer la société par la violence politique et la corruption
de pans entiers de la société. Tout n’est qu’illusions : fausses institutions,
faux partis politiques, fausses élections, réconciliation factice avec impunité
assurée aux criminels de tous bords, fausse presse libre à quelques très rares
exceptions près… Pour prévenir un éventuel «printemps algérien», le régime
procède à un ravalement de façade avec des réformettes. Vingt ans après l’arrêt
du semblant de processus démocratique, le constat est amer : des centaines de
boat-people qui fuient en bravant une mort quasi certaine, une économie
agonisante perfusée par l’argent du pétrole, un enseignement en déperdition,
une aggravation des maux sociaux, une corruption généralisée du sommet à la
base, une violence politique persistante, etc. Ce régime autiste ne peut
évoluer dans le sens du véritable changement. Sa nature même ne le lui permet
pas. L’Algérie n’a jamais été pour lui une patrie à défendre et à développer
mais un butin de guerre à se partager.
-Pourquoi
l’Algérie a-t-elle échappé au «printemps arabe»?
L’Algérie
n’échappera pas au destin de l’Histoire. Il est vrai que la guerre subie par le
peuple durant plus d’une décennie avec son lot de malheurs et son flot de sang
et de larmes n’est pas étrangère à cette léthargie observée, alors que le
Maghreb et le Machrek sont en ébullition. Mais il y a aussi un autre facteur
retardant : la faillite de la classe dite politique qui n’a pas été à la
hauteur des espérances et des aspirations de la population, pour présenter une
alternative crédible. On a trompé le peuple au nom du nationalisme, du
socialisme, de la question identitaire, de la démocratie, puis de l’islam.
Autant de fonds de commerce utilisés par cette faune politicienne pour se
servir au lieu de servir. La population ne croit plus aux discours creux de
cette classe dite politique discréditée. Comme en Tunisie, en Egypte, au Yémen
et en Syrie, c’est la jeunesse qui décidera, dans la rue, de son destin et avec
tous les risques que cela comportera.
-Le
phénomène de l’islamisme est-il encore aussi prégnant en Algérie qu’il ne le
fut ?
L’islamisme
est une réalité sociale et politique indéniable en Algérie. Ni la propagande du
régime, ni ses lois politico-juridiques scélérates n’effaceront cette réalité
du terrain. Cela s’est vérifié en Tunisie, en Libye et en Egypte. La terrible
répression subie par cette tendance durant des décennies dans ces trois pays n’a
pas du tout modifié la carte politique réelle. Il faudrait que l’opinion
publique occidentale comprenne que chaque Nation a sa propre voie pour
construire son État de droit et sa démocratie, en s’inspirant de ses valeurs
culturelles et identitaires propres et de son Histoire. C’est le chemin
emprunté par toutes les démocraties avancées. Pourquoi pas nous ? La société
réelle a tiré les leçons des supercheries de son système. Par la rue ou par un
compromis politique entre la véritable opposition et ce qui reste comme
éléments lucides du pouvoir réel, le changement se fera inéluctablement et ce
régime en fin de cycle est appelé à disparaître.
Reproduit par Le Quotidien d'Algérie
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RépondreSupprimerprotect against hackers? I'm kinda paranoid about losing everything I've worked hard on.
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